Sana Bob : “le Burkina a trois problèmes : les intellectuels, la politique et la religion.”

Sana Bob, de son vrai nom Salif SANA, est un artiste reggaeman burkinabè qu’on ne présente plus. Il est notamment connu pour son engagement social et ses rythmes inspirés de la musique du terroir. Sana Bob est reputé n’avoir pas sa langue dans la poche. Justement, dans l’après-midi du 03 avril 2021, il s’est livré à cœur ouvert aux lecteurs de ACTUALITE.BF. Au menu de l’entretien : évolution de la musique burkinabè, réconciliation nationale, nouvelle génération de la musique burkinabè, avenir du reggae,…

ACTUALITE.BF : Depuis un bon moment, on n’entend pratiquement plus parler de Sana Bob. Que se passe t-il?

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Sana Bob : Je remercie avant tout votre média et vos lecteurs de m’avoir approché. Pour répondre à votre question, je dirais qu’avant, j’avais le temps. Mais maintenant, je suis beaucoup sollicité par les projets, et je tourne beaucoup dans le cadre de la réconciliation, pour parler du vivre-ensemble. Ce qui fait que je suis plus occupé. C’est pour moi une autre forme de travail.

ACTUALITE.BF : Quels sont les actes concrets que vous posez en faveur de la réconciliation en tant qu’artiste ?

Pour moi, le problème de la réconciliation est un problème de communication. Quand vous regardez, nous avons trois problèmes. Ce sont les intellectuels, la politique et la religion. Nous avons tout importé. Maintenant, je pense que la culture pourrait jouer un grand rôle dans la réconciliation. C’est pourquoi j’ai initié ma tournée pour parler de vivre-ensemble.

ACTUALITE.BF : Quelle appréciation faites-vous de la nouvelle génération de la musique burkinabè ?

Sana Bob : Je pense qu’il y avait un vide dans la musique burkinabè, qu’ils vont venus combler. Maintenant, c’est à eux d’encadrer les genres musicaux. Kayawoto, c’est un plus, et c’est bien. Quand vous prenez les Sénégalais, ils n’ont pas abandonné leur langue. Mais chez nous, que vaut notre culture face à celle des autres ? Au Sénégal, que ce soit dans les boîtes de nuit ou dans les maquis, c’est la musique en langue wolof qui est privilégiée. Nous, les Burkinabè, nous ne faisons qu’interpréter. Pour moi, il n’y a pas de nouvelle ou d’ancienne génération. Le plus important est que chacun apporte quelque chose à notre culture. Vers Pô, on joue la musique ghanéenne. A partir de Bobo-Dioulasso, c’est la musique ivoirienne qui domine. Aussi, quand vous observez la mode vestimentaire, c’est le style américain. Alors, où se trouve notre identité culturelle ?

ACTUALITE.BF : Quelle est votre appréciation du travail fait par le BBDA (Bureau burkinabè des droits d’auteur, NDLR) concernant la protection des droits d’auteur?

Sana Bob : Le BBDA est l’une des maisons de droits d’auteur les mieux organisées en Afrique. Tout le monde en parle. Le BBDA fait ce qu’il a à faire. Il évolue aujourd’hui avec la génération montante, mais il doit être un peu plus sévère concernant les rackets. Le BBDA, aujourd’hui, favorise un nombre élevé d’artistes. Il y a des subventions qu’il donne aux jeunes artistes, sans pour autant être sûr qu’ils vont poursuivre une carrière musicale. Ça va forcément jouer sur les droits d’auteur de ceux qui se nourrissent de la musique.

Il y a des Burkinabè qui ne savent pas qu’on achète  une œuvre. Le BBDA travaille beaucoup. Mais c’est la piraterie qui nous tue, qui fait que nous perdons beaucoup.

ACTUALITE.BF : Aujourd’hui, Sana Bob ne critique plus la gestion politique. Est-ce à dire qu’il est satisfait de la gouvernance ?

Sana Bob : Dans un pays comme le Burkina Faso, il vaut mieux essayer mille fois et échouer, que de s’asseoir à ne rien faire. Jusqu’aujourd’hui, je suis toujours dans les critiques. Nous sommes toujours engagés. Mais est-ce que vous, les journalistes burkinabè, vous écoutez nos œuvres? Dans la sous-région actuellement, il n’y a pas un morçeau qui est plus joué que mon « vivre ensemble ». A un certain moment, il faut se dire que ce n’est pas le fait de critiquer qui est la solution. Il faut donner son point de vue dans la courtoisie. Moi, je suis en tournée depuis près de trois ans. Je tourne dans les palais royaux pour parler de paix et de reconciliation. Mais, est-ce que je suis soutenu ? Quel autre engagement attendez-vous de moi ?

ACTUALITE.BF : Quel regard portez-vous sur le reggae burkinabè aujourd’hui ?

Sana Bob : En 2001, je suis venu trouver des artistes reggaeman comme Martin N’Terry. Beaucoup ont abandonné la musique. Moi je tiens toujours, avec l’aide de la population. C’est le temps du reggae actuellement, parce que, tout ce qui ne va pas aujourd’hui, le reggae doit le dénoncer. Tout le monde a besoin du reggae.

En notre temps, c’était des gens vraiment instruits qui travaillaient dans les radios, mais aujourd’hui ce sont «  les enfants d’Arafat » qui y sont. C’est pourquoi vous n’entendez plus parler de reggae. Je suis le seul artiste reggaeman aujourd’hui qu’on écoute beaucoup, et mon œuvre coûte 5000 Francs CFA. Il y a des artistes qui partent donner leur single pour qu’on joue dans les radios, alors que pour moi, ce n’est pas le cas. On achète mon œuvre. Le reggae marche très bien aujourd’hui, et je suis content. Il y’a un adage mossi qui dit que « la vérité se trouve dans le cabaret, mais personne ne l’écoute, parce que chacun fait de bruit ».

ACTUALITE.BF : Sana Bob prépare t-il un album actuellement ?

J’ai un calendrier de carrière que je respecte. Chaque trois an, s’il plait à Dieu, je fais sortir un album. (La dernière sortie d’album date de 2018, NDLR.)

ACTUALITE.BF : En dehors de la musique, que faites-vous ?

Sana Bob : Je donne des cours de danse traditionnelle.

ACTUALITE.BF : Quel conseil vourdriez-vous donner à la jeunesse burkinabè ?

Sana Bob : J’emcourage la jeunesse, surtout la génération montante de la musique burkinabè. Je lui demande de penser à notre culture, à nos rythmes traditionnels. Nous ne montrons pas une identité culturelle burkinabè. Que les jeunes essaient de nous approcher ou d’aller à l’INAFAC se former en musique traditionnelle, parce que le Burkina Faso n’a pas encore dit son dernier mot en matière de culture. Nous comptons sur cette jeunesse.

Interview réalisée par Souleymane ZOETGNANDE