[Tribune] “Sortir de l’impasse socio-politique avant juillet 2024” (Dr Arouna Louré)

Ceci est une tribune du Dr Arouna Louré intitulée “Sortir de l’impasse socio-politique avant juillet 2024”.

Comme beaucoup de Burkinabè, nous constatons individuellement de plus en plus l’impasse socio-politique et même militaire dans lesquelles notre pays se trouve dorénavant. De bonne foi, beaucoup de Burkinabè ont cru qu’au vu de l’incapacité du régime Kaboré à faire face vigoureusement à la crise sécuritaire, qui s’est exacerbée dans notre pays depuis 2015, il était de bon aloi que des militaires puissent exercer le pouvoir d’état afin d’endiguer cette crise. Mais l’évidence s’impose de plus en plus à tout esprit libre, sans parti pris, que la situation sécuritaire et par-delà, la situation générale, se sont sérieusement dégradées aujourd’hui malgré les efforts de réarmement et de restructuration de nos forces de défense et de sécurité. Cela vient confirmer à souhait que n’est pas bon dirigeant qui le souhaite, car cela exige une certaine compétence des questions d’état, mais aussi une humilité et une sagesse envers les autres composantes de l’État et dans la compréhension de la marche du monde.

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Juillet 2024 arrive à grand pas, et cela pousse la réflexion à la recherche de solutions idoines et pacifiques. En effet, je doute fort que les déclarations populistes et loufoques, les vociférations des homo applaudicus, ou encore les différentes mesures de musellement et d’intimidation suffissent à tenir les Burkinabè à carreau. Car les Burkinabè pourraient penser avoir accordé suffisamment de temps et de moyens au régime actuel, compte tenu des discours initiaux du président de la transition, dans l’espoir sincère d’une sortie de crise. De même, la violence ayant un délai de péremption, les Burkinabè pourraient refuser de rester silencieux et tranquilles sous le joug d’un régime putschiste dictatorial dont les résultats restent à désirer.

Il faut le dire sans ambages, malgré le coup d’état du 22 janvier puis celui du 30 septembre 2022, la situation sécuritaire est plus qu’alarmante, pour utiliser les termes du haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, M. Volker Türk, le 21 mars dernier. Mais encore pire, nous assistons à une morosité économique due non seulement au coût de la guerre, mais aussi à l’achat de certains matériels lourds de guerre dont certains ne sont pas adaptés à la guerre asymétrique que nous menons (confère la guerre des soviétiques en Afghanistan) ; et cela, sans oublier la gestion scabreuse du denier public et du climat socioéconomique.

À la situation sécuritaire alarmante et à la morosité économique, il faut ajouter leur corollaire qui n’est rien d’autre que la crise humanitaire qui en découle : plus de deux millions de personnes déplacées internes, près du million d’enfants déscolarisés sans omettre ceux qui ne seront pas scolarisés, plus du quart de la population burkinabè dans le besoin d’assistance humanitaire. Quel avenir pour ce million d’enfants Burkinabè déscolarisés ou non scolarisés et en proie à une crise humanitaire et sécuritaire ?

Pour enfoncer le clou à cette situation explosive, le régime Traoré s’est révélé être le champion de la détérioration de la cohésion sociale, en manquant ainsi gravement à un rôle régalien de l’État qui est l’unité nationale fasse à la crise sécuritaire. De même, le régime se positionne aujourd’hui comme le plus autoritariste et le plus arbitraire (positionnement d’ailleurs assumé) de ces dernières années en s’immisçant dans les affaires de justice, en refusant d’exécuter des décisions de justice, mais encore pire, en faisant des enlèvements, des séquestrations et des réquisitions arbitraires le pivot de sa politique despotique, espérant par-là taire toutes les voix et toutes les intelligences à même de proposer d’autres réflexions ou encore de dénoncer la malgouvernance dont est victime notre pays.

Alors la question reste légitime : Comment sortir de cette impasse socio-politique et militaire, si au-delà de la crise sécuritaire, le Burkina Faso connaît aujourd’hui une crise multiforme et complexe, aggravée par la gestion scabreuse et autocratique des régimes militaires successifs ?

Le régime Traoré pourrait faciliter la solution de sortie de cette impasse, s’il fait une introspection sincère afin de comprendre son propre échec face aux défis de l’heure que connaît notre pays. Pour cela, le régime Traoré devra organiser dans les formes que nous pourrions définir ensemble, au vu de la situation sécuritaire et économique que connaît notre pays, le passage à une vie constitutionnelle légitime. Cela pourrait prendre la forme d’une conférence nationale souveraine ou toute autre forme, mais le processus se doit être le plus inclusif possible avec une mission bien claire qui sera la mise en place d’un régime politique civil pour un mandat de 5 ans. Ce régime constitutionnel légitime devrait avoir tout au plus 5 à 7 grands axes dont la cohésion sociale ou l’unité nationale autour des valeurs de la république, l’élaboration d’une stratégie de défense et de sécurité inclusive allant largement au-delà de la préoccupation purement militaire, les réformes institutionnelles afin de nous éviter de tomber dans les travers d’un homme « fort », la réforme de l’administration publique afin de la mettre au service du citoyen et probablement une nouvelle diplomatie, certes souverainiste, mais dans le respect des autres et qui ne s’attachera surtout pas les services d’un nouveau maître.

Au vu de ce qui précède, s’il y’avait une once de vérité lorsque le président de la transition à sa prise du pouvoir disait ne pas aimer le pouvoir, c’est le moment de le prouver au peuple Burkinabè. Car il est le personnage principal de notre sortie pacifique de cette impasse socio-politique et même de cette impasse militaire. Mais encore mieux, cela lui permettra d’avoir une postérité assez florissante dans la vie d’après avoir été président, chose que très peu de dirigeants Burkinabè connaissent à la fin de leur règne.

Cependant, connaissant l’histoire socio-politique de notre pays depuis nos indépendances, je reste assez pessimiste quant à notre capacité à trouver des solutions pacifiques de sortir de crise. Cela vient essentiellement de l’incapacité du dirigeant du moment à émettre l’hypothèse de sortie de crise sans qu’il ne puisse plus être le président. Ainsi, dès qu’un président intégrera la possibilité de ne plus être président à la sortie d’une crise socio-politique, alors nous trouverons ensemble des voies pacifiques de résolution de nos crises politiques.

Je ne peux terminer mes propos en cette journée de vendredi saint, sans souhaiter un très agréable vendredi saint à tous les catholiques et un agréable vendredi de prière à tous les musulmans. Puisse le miséricordieux nous accorder les faveurs de cette période de carême chrétien et de ramadan. Puisse t’il nous accorder l’intelligence et la sagesse nécessaires pour faire face aux défis de l’heure que connaît notre chère patrie, Le Burkina Faso.

Dr Arouna Louré