[Portrait] Martine Somda, la battante qui vit avec le Sida depuis plus de trente ans, alors que des médecins ne la voyaient pas tenir trois ans

En 1993, Martine Somda née Dakuyo avait 34 ans lorsqu’elle a été diagnostiquée séropositive du VIH/Sida. Issue d’une famille de sept enfants et mère de quatre, Martine n’a jamais cessé de se battre, d’une part contre la discrimination et la stigmatisation, et d’autre part, contre la peur de mourir trois ans après, comme l’avait prédit des médecins à l’époque. Depuis son diagnostic, l’agent de santé d’alors a fait de la lutte contre le Sida, son cheval de bataille, à travers son association dénommée “Responsabilité-Espoir-Vie- Solidarité (REVS Plus)”. Zoom sur Martine Somda, celle dont la joie et l’envie inébranlable de vivre lui ont permis d’être une survivante de ce mal, qui n’a d’ailleurs pas épargné son compagnon intime.

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Il est 10 heures ce 04 décembre 2023, quand nous arrivons au Trypano, à la Direction Régionale de la Santé des Hauts-Bassins, située au secteur 02 de la ville de Bobo-Dioulasso. Là, au siège de son association REVS Plus, Martine Somda nous reçoit. Taille moyenne dans un complet pagne de couleur verte qui fait ressortir son teint clair, pleine de vie, amusante et le sourire aux lèvres, elle a aujourd’hui 64 ans. Elle se remémore cette époque bouleversante où elle travaillait dans un centre antituberculeux, dans les années où les premiers cas de VIH-Sida ont été découverts au Burkina. « J’accompagnais les patients sans savoir que je serais personnellement confrontée à la maladie », confit-t-elle, le regard fouillant ses lointains souvenirs. Entre peur, colère, rejet, espoir…, la pionnière de la lutte contre le Sida depuis 30 ans au Burkina nous témoigne tout son vécu depuis l’annonce du diagnostic, dans un contexte d’absence de centre de dépistage, et à un moment où être atteint du VIH signifiait être condamné à mourir.

Témoignage : « Dans les années 90 jusqu’aux années 2000, c’était très dur, dans un environnement très hostile. Vous n’avez pas connu ce moment-là, mais le rejet était total et même le système de santé était concerné. Je pèse bien mes mots, puisque j’étais de ce corps de métier.  Quand j’ai été informée de mon état sérologique, j’ai été envahie par un sentiment de révolte, d’injustice, de colère, de culpabilité… Pourquoi moi et qu’ai-je fait à Dieu? Les émotions étaient très fortes. Ce fut une période de traumatisme où j’étais seule avec mon secret. J’ai même perdu la mémoire, et avais du mal à me rappeler les noms de mes enfants ». Martine ne s’était jamais imaginée concernée par ce mal, elle qui n’a connu que son mari, le père de ses enfants. « Mais j’avais oublié que mon partenaire avait pu le faire avec d’autres personnes », analyse-t-elle. La volonté de voir grandir mes enfants, dont la première avait 10 ans, a été le levain de sa détermination à vivre.

Selon Dame Somda, bon nombre de femmes ont été infectées par leur seules et uniques partenaires. Le seul fait d’être mariée constitue un risque majeure d’infection, « et elles ne peuvent contrôler l’activité sexuelle de leurs maris à l’extérieur des couples ».

Une chose est d’apprendre son statut sérologique ; une autre est de savoir l’accepter et affronter le regard de la société. Selon Martine, cette maladie était d’une telle lourdeur que personne ne pouvait vous désirer dans son entourage : « Mes enfants et mes parents ont beaucoup souffert. J’ai une de mes sœurs qui était stigmatisée par sa co-épouse qui lui disait chaque fois que sa sœur a le VIH et va mourir. Elle se servait de mon état sérologique pour insulter et dénigrer ma sœur ». Pour elle, c’est assez difficile de négocier les relations si soi-même on n’a pas accepté et compris ce qu’on vit, afin de pouvoir faire comprendre aux autres qu’ils n’ont rien à craindre.

Et cette étape, Martine affirme avoir y passé trois ans. « J’ai d’abord informé mes deux plus grands enfants qui pouvaient comprendre. Ensuite, j’ai parlé à ma sœur ainée sur le statut de mon époux, et de mon désir de faire le test. Puis, nous avons préparé le reste de la famille. Cette démarche m’a permis d’aller de l’avant et d’avoir du soutien et de l’amour », confie-t-elle.

Sandrine Somda, deuxième fille de Martine, a affirmé que sa copine d’enfance a été interdit de manger et de boire de l’eau chez elle. « Nous mangions chacune chez elle et un jour, elle m’a confié que sa maman le lui interdit, car mon père est décédé du Sida et ma mère est séropositive », a-t-elle confié.

Ayant réussi à passer du rejet à l’acceptation, Martine affirme que l’un de ses plus grands défis a été de renoncer pendant longtemps à toute vie sexuelle pour ne pas avoir à confirmer sa séropositivité à un partenaire. Egalement, ses enfants devraient prouver aux yeux du monde qu’elles n’étaient pas infectées et les autres enfants étaient interdits de jouer avec eux. « Je devais toujours sensibiliser sur les prises de risques et le fait que le Sida n’infecte pas pas que les autres ». Telle une preuve vivante du mal, elle affirme avoir fait des témoignages dans les mosquées et églises pour montrer la réalité de la maladie.

Fervente militante pour le droit des malades du Sida, Martine a mené 30 ans de brillants combats pour l’accès aux soins par les antirétroviraux, car, selon elle, à l’époque on savait dépister au Burkina, mais médicalement, on était démuni.

Par-dessus tout, Martine a su surmonter le rejet et la discrimination. L’acceptation de son statut lui a permis d’aller vers les autres et d’être le pilier sur lesquels les malades du Sida pouvaient compter. Étant agent de santé et malade comme eux, elle savait exactement répondre à leurs besoins sociaux et sanitaires. Cette main affectueuse qu’elle leur tendait a créé une confiance entre eux, toute chose qui a concouru à la création d’une association.

Cette mère de famille a refusé le diagnostic lui disant qu’elle ne virait que trois ans, et sa volonté de voir grandir ses enfants, et même d’être grand-mère, l’a aidée à tenir le coup. Elle fait ce témoignage, non sans émotion : « J’ai accompagné mon mari jusqu’à sa mort, et je refusais de subir la déchéance dans laquelle il se trouvait. Il n’avait pas accès au traitement malgré le fait que j’étais du secteur de la santé. Il fallait chaque fois négocier pour qu’une infirmière acceptâ de porter des gants et plaça des perfusions. Je ne voulais pas ça pour moi, et je voulais que les choses changent ».

Convaincue que la peur ne l’aiderait en rien à guérir ou à prémunir les autres de la maladie, Martine Somda a appris à connaitre cet ennemi, à le cerner et, ainsi, à mieux le combattre. Pour cela, elle a dû adopter une bonne hygiène de vie. Et elle se dit très attentive à elle-même. « Je ne traîne pas de maladie, aussi petite soit-elle. Même le rhume, je m’en soucie pas. Je me fais suivre médicalement. Je dors bien et j’évite le stress. Je mange équilibré…. Je m’entoure de personnes positives et je crée toujours une ambiance agréable autour de moi. Je ne fais pas de cachotteries, et je ne garde pas de rancune…».

Pour Madame Somda, il faut s’accepter et s’aimer soi-même pour obtenir l’amour des autres en retour. Elle qui n’a commencé les traitements antirétroviraux qu’en 2004, reste convaincue que seul l’amour de soi peut arriver à bout de tout mal.

Agée de 64 ans aujourd’hui, Martine Somda affirme que le Sida a eu un très grand impact sur sa vie. Cette maladie a emporté avec elle son mari et leurs quinze ans de vie commune. Et pour elle, c’est beaucoup.

Mais toute cette épreuve n’ébranlera en rien l’instinct de vie de Dame Somda, et sa volonté d’aller de l’avant. Sa capacité de résilience est sans pareille. Selon elle, la maladie a changé sa vision du monde et forgé son caractère. Très calme et timide, la quête de survie de sa personne et de ses enfants a inversé le caractère de Martine, et l’a amenée à se surpasser. « Je ne voulais point mourir du Sida. Aujourd’hui, je parle, je défends, je propose, je recherche… Je suis forte, je vise toujours le meilleur. J’ai pu rencontrer de gens formidables qui veulent changer le monde », souffle-t-elle, confiante.

Mahama Sawadogo, Responsable du Pool prévention de l’association REVS Plus, reste admiratif de Martine Somda : « Je l’ai côtoyée depuis 1998. C’est une combattante, une visionnaire. Elle place toujours l’être humain au plus haut degré. Elle enseigne, par son témoignage de vie et ses mots justes, et donne espoir aux malades de continuer le combat de la vie. Elle est immensément riche de cœur. C’est une maman qui est toujours à nos côtés pour la lutte contre le Sida. Un jour, elle m’a vu arrêté avec une fille devant un lycée. Elle m’a appelé après et m’a donné des préservatifs sans rien dire. Elle pensait que je pouvais prendre un risque, et j’ai compris le message. Que Dieu la garde longtemps ! ».

Et Sandrine Somda, deuxième fille de Martine Somda, d’ajouter : « Si c’était à refaire, je souhaiterais qu’elle reste toujours ma mère. C’est une femme forte et une mère formidable, car elle a eu le courage de nous parler de son statut sérologique depuis le début. Ce courage de trouver les ressources en elle pour créer une association afin de donner du soutien et de l’amour aux autres malades, est tout simplement un don de soi ».

Aujourd’hui, Martine affirme qu’être grand-mère de huit petits-enfants, est sa plus grande fierté. C’est une grâce pour elle qui était destinée à mourir, laissant des enfants à bas âges. Une autre fierté de Madame Somda, c’est cette solidarité qui s’est créée autour des malades, à travers son combat et son association : « Les malades mourraient plus par manque de solidarité que par le Sida. Ils étaient rejetés, stigmatisés, et il fallait faire tomber ces murs, car le premier médicament d’un malade, c’est l’amour. Cette inversion est une fierté ».

Cependant, Martine Somda insiste sur le fait que le principal obstacle à la riposte contre le Sida demeure la stigmatisation et la discrimination. D’après elle, la bataille n’est pas encore gagnée, car, même si de nos jours, le Burkina Faso est à 0.6 pour cent de taux de prévalence, les grandes campagnes de sensibilisations doivent reprendre. En effet, explique Dame Somda, les jeunes de 15-20 ans sont aujourd’hui les plus touchés, et n’ont pas toutes les informations.

Mahama Sawadogo, chef du département chargé du Fonds de solidarité envers les malades et orphelins du Sida, ne dira pas le contraire. Pour lui, la population lie le Sida au vagabondage sexuel, et jusqu’à présent, les gens ont du mal à en parler, de peur d’être jugés. « Le défi, c’est également d’arriver à identifier toutes les personnes infectées au sein de la population et qui ignorent qu’elles le sont, et de les mettre sous traitement ARV, avec en perspective l’élimination de la charge virale à travers l’amélioration de la qualité du traitement », a-t-il ajouté.

Martine Somda se dit être la plus heureuse avec ses quatre enfants et huit petits-enfants. La pionnière de la lutte contre le Sida depuis 30 ans aura tout donné pour bouter le mal hors du Burkina Faso et donner de la chaleur humaine aux autres malades. Elle a pu s’élever au-delà de la maladie et façonner son destin pour devenir la femme forte, altruiste, généreuse qu’elle est aujourd’hui.

Djamila Kambou