Poème du philosophe Jacques Nanema à feu Joseph Ki-Zerbo : “Cher baobab, nôtre! Si tu savais…”

Ceci est un poème du Professeur Jacques Nanema, philosophe, adressée à feu l’historien Joseph Ki-Zerbo.

Cher baobab, nôtre !

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Si tu savais …
Si tu savais à quel point aujourd’hui, plus qu’hier et avant-hier…
Si tu savais …
curieusement, honteusement,
Si tu savais…
Si tu savais à quel point, l’ignorance et ses zélateurs …
de toi se réclament et à tue-tête proclament leur parenté….!
Si tu savais que par un cynisme éhonté…
Si tu savais que par une posture sans vergogne aucune, te réclament à cor et à cri,
te prennent pour le bouclier de leur ignominie…
font de toi le manteau d’une paresse intellectuelle sans nom…
te dressent comme l’alibi d’une inculture abyssale…
Toi, le baobab du savoir
Toi, le sachant, l’amoureux de la connaissance et des idées…
Toi l’ancien étudiant voltaique à Paris…
qui jadis pris plaisir à lire, étudier sans complexe les grands philosophes,
qui pris plaisir à fréquenter les aigles royaux du monde de l’esprit …
Toi qui sympathisas avec le grand philosophe Emmanuel Mounier, l’ami français d’Alioune Diop, de Senghor et de Césaire …
Face aux impostures populistes,
Face aux appels du vide et à la tentation du néant…
Devras-tu encore prendre le chemin de l’exil loin d’ici…
loin des tiens menacés d’obscurantisme ?
Devras-tu partir dans l’urgence hors de ton pays enclavé ?
Devras-tu sauver ta peau contre l’ire des demi-savants en regagnant Dakar comme dans les années 83 ?
Sous les coups de butoir de la haine canine et fratricide…
Devras-tu voir tes livres brûlés ?
Devras-tu te résoudre à accepter une nouvelle fois, une fois encore, une fois de plus…
que des bibliothèques brûlent dans ce pays qui est tien ?
Baobab nôtre….
Contre ceux qui ferment nos écoles en milieu rural et contre ceux qui la méprisent en milieu urbain…
Réveille-toi, sachant des sachants …
contre le voile de l’obscurantisme qui s’étend et nous enserre de ses griffes si féroces…
Réveille nous de nos peurs et torpeurs et du ressentiment…
Allume au cœur de notre nuit noire…
Encore et en corps pour nous…
les flammes d’une renaissance qui cherche son chemin, d’une aurore qui attend l’heure et l’aube…
Souffle sur le feu du savoir, de l’amour de la connaissance qui sauve contre l’oubli et la mort…
Allume chez nous, en nous, le désir de savoir, l’audace d’agir, le désir de vivre à la rencontre de l’inconnu qui nous appelle…
Réveille pour nous la raison endormie qui prophétise la décadence et la floraison des monstres…
Allume pour nous la pensée prise au piège de la folie,
elle ne peut rester en cage du fait de cuistres et sinistres fantômes méprisant les sciences…
Baobab nôtre…
deviens notre école,
deviens la mère génitrice de notre avenir,
deviens notre école, notre école élémentaire, secondaire et supérieure…
le buisson ardent de notre créativité en souffrance…
Deviens la conscience, le foyer d’un nouvel humanisme qui nous galvanise…
aide-nous à faire nôtre, dans une fraternité universelle consentie, la sentence si magistrale de l’autre :
“deviens ce que tu es” !

Pr Jacques Nanema