[Tribune] “Il faut s’opposer à toutes les idéologies du nivellement, qu’il se fasse par le bas ou par le haut…” (Pr Jacques Nanema)

Ceci est une tribune de Pr Jacques Nanema intitulée : “Soi-même comme un autre” …

Le droit à la différence est une aspiration légitime qui permet aux humains de s’épanouir sans se confondre dans la monochromie. L’humanité est une mosaique de peuples, de cultures, de langues, de moeurs, de ressources, de représentations, de pratiques, de rêves.

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Bref, chacun d’entre nous doit pouvoir écrire et inscrire sa singularité dans la toile polychrome du monde, de l’histoire et de l’humanité. En ce sens, il faut s’opposer à toutes les idéologies du nivellement, qu’il se fasse par le bas ou par le haut.

Mais, soyons prudents, circonspects et attentifs à éviter une multi-fragmentation chaotiques qui nous disperserait à l’infini et nous éloignerait tous les uns des autres pour toujours. L’humanité est la variation de/dans la même espèce, et comme l’a entrevu Kant (cf. Opuscules sur l’histoire), cette espèce a aussi, par l’entremise sécrète d’une “ruse de la nature” (qui inspirera à Hegel le concept de ruse de la Raison) une même destinée pacifique par-delà les différents conflits qui l’agitent dans l’histoire universelle (cf. Projet de paix perpétuelle).

Nous devons prendre garde à ne pas céder à l’ivresse d’une frénésie différentialiste, autre nom à peine masqué d’un l’individualisme atavique (à chacun sa vérité, sa culture, sa philosophie, sa monnaie !) qui conduirait nos différences ou nos divergences à se figer dans des impostures unilatérales rendant impossible toute communauté proprement humaine. Les singularités érigées en réalités absolues, en “choses en soi” deviennent de pures et simples absurdités si elles ne sont pas rapportées et reliées à l’idée de communauté qui les informe et leur donne sens.

On ne peut durablement se consoler simplement avec l’idée kantienne de la rotondité de la terre comme fondement d’une impossibilité matérielle de la dispersion à l’infini des humains, encore moins avec l’idée stoïcienne d’un ministère qui ferait de la terre un lieu de fraternité universelle involontaire (le monde est un, gouverné par l’unique Fatum divin et tous les hommes sont des frères, des concitoyens).

Pour conclure, le droit légitime à la différence perd de sa saveur et de son sens quand il dérive en devoir de différentiation idéologique qui brise toute possibilité et espérance d’unité pour l’espèce humaine dispersée dans l’histoire.

Pr Jacques Nanema, philosophe