Si les exécutions sommaires etaient efficaces, « on aurait fini avec le terrorisme depuis sept ans » (Adoulaye Diallo)

Ceci est une déclaration de Abdoulaye Diallo sur la stigmatisation ethnique et les exécutions sommaires dans la lutte contre le terrorisme au Burkina Faso.

Je me suis abstenu depuis toujours de réagir sur le drame que vit la communauté peule au Burkina Faso, de peur d’être incompris, mais face au drame, je ne peux plus me taire. Je ne veux pas être complice d’un drame silencieux qui risque de fragiliser davantage notre tissu social.

Dans la nuit du 19 au 20 décembre, un de mes neveux et son client ( il est boutiquier ) ont été enlevés par des hommes armés habillés en VDP au secteur 10 de Ouahigouya. Les femmes de la concession ont été menacées et frappées, le neveu et son client ont été enlevés avec leurs motos après qu’ils aient pris quelques marchandises de la boutique.

Depuis, aucune nouvelle d’eux malgré toutes les démarches entreprises au niveau des services de défense et de sécurité de la ville.

Il se trouve que depuis quelques mois, il ne passe pas un jour sans que je reçoive une information faisant état d’enlèvements, de disparitions de Peuls, très souvent enlevés à leurs domiciles ou dans leurs commerces (étant parmi les plus visibles de la communauté et travaillant au Centre National de Presse Norbert Zongo, certains pensent que je peux faire entendre leurs voix).

Ce phénomène a pris de l’ampleur depuis quelques mois et la communauté peule vit le martyr. Le Peul n’échappe à personne, du terroriste au FDS en passant par les Kolgweogos et VDP. Chacune de ses composantes en font une bouchée. Bien qu’ils ne soient pas épargnés par les terroristes, les Peulhs sont le plus souvent accusés d’être complices des terroristes et gratuitement massacrés pour la grande majorité. Combien de fois, les médias ont relayé des exécutions de civils peulhs non armés, des massacres de masse sans que cela n’émeuve personne au niveau de l’opinion ?

Aujourd’hui même, les médias sont gagnés par la lassitude. Ils ont tellement dénoncé ces situations sans malheureusement obtenir aucun résultat. Les autres composantes de la société qui doivent suivre, appuyer la dénonciation ne bougent pas malheureusement. Je pense surtout aux partis politiques. Les partis ont complètement démissionné de leur mission. Ils sont devenus aphones depuis quelques temps. . Les institutions républicaines (Assemblée nationale, justice, CNDH, etc.) sont toutes au courant du drame mais ne font rien. Les Burkinabè pris même individuellement, il n’y a pas quelqu’un qui ne connait pas une famille peulh qui ait été injustement victime de la crise sécuritaire.

Alors, il ya une multitude de questions qui me taraudent ? Pourquoi ce drame n’émeut personne ou très peu ? Pourquoi certaines personnes, même sensibles, ont peur de s’exprimer publiquement et dénoncer ? En dehors de quelques intellectuels que j’ai vu prendre courageusement position sur certains plateaux télés, plus rien. Les organisations de la société civile ne bougent pas ! Qu’est-ce qui explique cela ?

Je suis né en Côte d’Ivoire et dois avouer ne pas vraiment connaître la sociologie peule, qu’est-ce que les Peulhs ont fait aux autres communautés pour être autant stigmatisés au point que leur vie ne vaut absolument rien au Burkina ? Il urge vraiment de mettre fin à ce ciblage ethnique dans la lutte contre le terrorisme. Personne ne peut nier que les groupes terroristes ont des complicités parmi les populations civiles. Mais on ne doit pas faire de l’appartenance à une communauté donnée comme un critère sérieux et déterminant pour arrêter et exécuter des gens de cette communauté sans se donner le temps nécessaire de vérification. Sans informer les familles de ce qu’on les reproche exactement. Si ces méthodes etaient efficaces, on avait fini avec le terrorisme depuis sept ans. Il est temps que l’Etat change de méthode en professionnalisant davantage le travail des FDS et des VDP, pour éviter à notre cher pays une dechirure préjudiciable à sa cohésion interne.

Je sais que je vais me faire des ennemis mais je ne compte plus me taire face à un tel drame qui met en danger l’avenir de ce pays.

Abdoulaye Diallo

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