L’or, l’autre guerre du Tchad

Plusieurs affrontements meurtriers entre orpailleurs ont été enregistrés ces dernières années au nord du Tchad, près de la frontière avec la Libye où se trouvent des gisements aurifères. Le gouvernement est intervenu début juin 2022 pour rétablir l’autorité du pouvoir central après un conflit qui a occasionné des lourdes pertes humaines fin mai dernier.

Les célèbres régions du Tibesti et du Batha, reliefs montagneux au nord du Tchad, sont devenues l’objet de toutes les convoitises de divers groupes armés à cause de ses gisements d’or. Le boom aurifère a été la cause de plusieurs conflits meurtriers depuis 2015 dans cette zone limitrophe avec la Libye.
Les Nations unies ont souligné dans un communiqué publié le 1er juin courant que « les 23 et 24 mai derniers, des affrontements survenus entre des orpailleurs à Kouri Bougoudi dans l’extrême-nord du Tchad ont causé une centaine de morts et forcé de milliers d’orpailleurs à fuir » vers des villes voisines.

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– Qui sont ces chercheurs d’or ?

Le 1er juin, l’Organisation internationale pour les migrations (OMI) a souligné qu’il y a environ 40 000 orpailleurs dans la région minière de Tibesti située non loin de la frontière tchado-libyenne. Ces orpailleurs sont « des migrants internationaux et nationaux » selon l’OMI.
La découverte de pépites dans les roches des massifs montagneux du nord du Tchad en 2014 a attiré des chercheurs d’or venus des pays voisins. D’après l’ex-député de l’opposition de la province du Batha, Rakhis Ahmat Saleh, « dans la zone minière au nord du Tchad on retrouve des aventuriers, des trafiquants d’or, des trafiquants de drogue, des voyous de la république qui sont des Tchadiens, des Soudanais, des Libyens, des Chinois, des Nigériens… »
Selon le journal local Tchadinfo, la majorité des orpailleurs viennent des pays voisins, « notamment des Soudanais réputés pour leur habileté particulière dans le maniement des détecteurs de métaux ».
Sa majesté Chérif Abdelhadi Mahd, chef traditionnel de Dar-Ouaddaï a confié à l’Agence Anadolu que « certains orpailleurs trouvent abri dans les villages mais nombreux sont aussi ceux qui s’installent dans la forêt aux alentours des mines d’or et viennent dans les villages seulement pour s’approvisionner en vivres ».
Dans un article publié le 13 juin dernier, Tchadinfo a relevé que « la situation des orpailleurs est extrêmement précaire car ils sont soumis à l’arbitraire des réseaux du commerce illégal et à la violence quelquefois des forces de sécurité elles-mêmes ».
La plupart de ces jeunes orpailleurs ont mis en péril leur santé et ont sacrifié leur éducation pour des salaires de misère.
« Quand nous avons appris l’existence de gisements d’or au Tibesti, cette immense région désertique et montagneuse de l’extrême nord, nous n’avons pas hésité à quitter le Cameroun pour le Tchad. Avec nos dernières économies, nous avons acheté un peu de matériel artisanal, pas grand-chose, juste de quoi extraire quelques pépites. Comme des centaines d’autres, nous nous sommes installés à Kouri Bougoudi. Les conditions de vie y sont rudes. Le vent souffle en rafales et le sable griffe les visages. Le matin, un froid mordant engourdit les corps, avant que ne tombe une insoutenable chaleur, comme un couvercle sur une casserole en fonte », a raconté à l’Agence Anadolu, Ngombol Eric, orpailleur camerounais installé au Tibesti.
Le gouverneur du Tibesti, Mahamat Tochi Chidé, a indiqué à Anadolu que les autorités locales ont été dépassées par « cet afflux d’individus venant de tous horizons (Soudan, Libye, Niger, Nigeria, Cameroun, RCA…), parfois armés, dans un contexte où le groupe Boko Haram menace encore la stabilité du Tchad ».

– La ruée vers l’or, une source de tensions

Les affrontements sont fréquents entre les habitants du Tibesti et les orpailleurs venus d’autres régions du Tchad ou d’autres pays comme le Soudan, dont « d’anciens rebelles du Darfour », a expliqué Jérôme Tubiana, chercheur, spécialiste du Soudan et du Tchad.
D’après ce chercheur pour le Small Arms Survey, un projet de recherche indépendant basé à l’Institut universitaire de hautes études internationales et du développement à Genève en Suisse, « les orpailleurs ont souvent une expérience militaire que ce soit dans l’armée tchadienne ou au sein des groupes rebelles soudanais ou libyens ».
Selon Tubiana, il y a eu depuis 2015 une série d’affrontements entre les indigènes du Tibesti, les Toubous, peu nombreux pour contrôler un territoire immense, d’autant qu’une grande partie d’entre eux est partie depuis des décennies s’installer en Libye. « Et d’autre part, une grande partie de leurs adversaires orpailleurs, chercheurs d’or, sont effectivement des Zaghawas, aussi bien tchadiens que soudanais y compris des anciens de l’armée tchadienne », a-t-il expliqué.
Tout le monde espère bénéficier d’une vie meilleure grâce à la découverte de cette nouvelle ressource. Ainsi éclatent les conflits pour le contrôle de l’or entre groupes d’orpailleurs. C’est ce qui, vraisemblablement, a conduit aux affrontements qui ont fait des centaines de morts à Kouri Bougoudi.
Depuis la découverte de la manne d’or au nord du Tchad, plusieurs dizaines de personnes ont perdu la vie dans des affrontements. Le plus récent affrontement a eu lieu entre le 24 et le 25 mai où « une centaine » de personnes ont été tués selon l’ONU et des ONG.

– Le gouvernement suspend l’exploitation de l’or à Kouri

« Ce n’est pas la première fois qu’il y a des affrontements entre orpailleurs dans la région et nous avons décidé de suspendre jusqu’à nouvel ordre toute exploitation de l’or à Kouri, sachant qu’en majorité, elles sont illégales », a déclaré à l’Agence Anadolu le ministre tchadien de la Défense, le général Daoud Yaya Brahim, affirmant que les heurts ont opposé des personnes originaires de Mauritanie et de Libye.
Assez vite, les autorités ont évoqué la possibilité de réserver la zone pour une exploitation industrielle, ce qui crée un certain mécontentement local car l’espoir d’une vie meilleure s’évapore peu à peu. Les autorités locales réclament alors qu’un tel choix, s’il était confirmé, s’accompagne de retombées locales en termes d’emploi et de ressources fiscales.

Le 9 juin dernier courant, le président du Conseil militaire de transition, le général Mahamat Idriss Deby, s’est exprimé sur les affrontements qui ont causé la mort d’une centaine de personnes dans la nuit du 23 au 24 mai sur le site aurifère de Kouri Bougoudi, dans le nord du pays à la frontière libyenne. Dans un entretien diffusé sur les chaînes publiques, Mahamat Idriss Deby a déclaré que « ce qui s’est passé à Kouri Bougoudi est plus grave qu’un “simple conflit intercommunautaire” » avant d’ajouter que l’État Tchadien prendra ses responsabilités.
« Égorger des gens, brûler des personnes, c’est un phénomène nouveau qui est arrivé dans notre pays. Il y eu des morts parmi les Tchadiens, mais aussi des Mauritaniens, des Algériens, des Nigériens. Quand un brun trouve un noir, il l’assassine, et quand un noir trouve un brun, il l’assassine… C’est un conflit de race », a souligné le Président tchadien.
« C’est une perte humaine énorme et cela doit cesser », a-t-il déclaré, ajoutant que la valeur de l’or sorti en contrebande du pays éclipse les exportations officielles d’or du Tchad, qui s’élevaient à environ 200 millions de dollars en 2020, selon les données de la Banque mondiale.

Abdelkerim Mahamat Abdelkerim, ministre tchadien des Mines et de la Géologie a jugé que le Tibesti a un potentiel minier estimé à plus de 50 milliards de francs CFA (76 millions d’euros) par semaine.
Jusqu’à fin mai dernier, le Tchad n’avait pas de contrôle sur ce territoire, a reconnu le Président tchadien qui a annoncé une reprise en main. « Nous avons effectué plusieurs opérations de déguerpissement, mais malheureusement, ça a toujours été un échec. Maintenant, nous avons pris des mesures drastiques : le ministre des Finances est déjà là, le ministre des Mines est déjà là ; ils vont installer des comptoirs qui permettront de légaliser l’orpaillage ».
En visite de travail dans la zone de Tibesti le 6 juin courant, le Président tchadien a annoncé que dès lors, la présence de l’armée a été renforcée sur le site minier et des comptoirs seront installés pour gérer l’activité aurifère et collecter des taxes.
L’extraction de l’or dans la zone tri-frontalière entre le Tchad, la Libye et le Niger pose depuis longtemps un problème de sécurité à l’administration tchadienne.
« Nous mettrons en place des services miniers, fiscaux et douaniers. Les étrangers qui veulent exploiter ici auront besoin d’un permis pour le faire », a encore déclaré Déby. « L’État aura sa part, tandis que la province aura droit à 5% des revenus de ses ressources naturelles ».
« Faut-il reconnaître que les difficultés des autorités tchadiennes à élaborer des politiques qui articulent de façon cohérente leur volonté de capter la rente aurifère sont, si l’on peut dire, les causes directes des événements de ces dernières semaines à Kouri Bougoudi. Car, la nouvelle de la découverte de l’or dans cette partie du pays s’est répandue comme une traînée de poudre à travers tout le Tchad et dans les États voisins occasionnant un déplacement massif sans que les autorités n’analysent les conséquences de ces ruées vers l’or afin d’encadrer son exploitation », a relevé dans un article publié le 13 juin courant le journal local Tchadinfo.
« Dans les zones aurifères marquées par l’insécurité, les Etats devraient soit déployer leurs forces de sécurité à proximité des sites (mais pas nécessairement dans les mines elles-mêmes), soit formaliser le rôle des acteurs locaux non étatiques en matière de sécurité des espaces miniers et mieux les encadrer », a conseillé, l’ONG Crisis Group.

Agence Anadolu