Dr Zénabou Coulibaly : “seulement 24 partis sur 126 ont appliqué totalement la loi sur le quota genre”

Présidente du conseil national des femmes du Burkina, Zénabou Coulibaly née Zongo est titulaire d’un doctorat en histoire et civilisation. Très engagée dans le combat contre les inégalités basées sur le genre et la promotion de la citoyenneté, Docteur Coulibaly est encrée dans le milieu associatif de notre pays. Elle est notamment la Coordinatrice de la Coalition nationale des femmes pour la paix au Burkina. Sur la question du genre, son combat dans la société civile et sur l’actualité politique , Dr Coulibaly apporte dans cette interview réalisée le 22 janvier 2021, son analyse d’experte à nos lecteurs.

ACTUALITE.BF (A.BF): En tant que présidente du Conseil national des femmes du Burkina, quelles sont les actions que vous menez sur le terrain dans le cadre de la lutte contre les inégalités basées sur le genre?


Dr Zénabou Coulibaly (Dr.C) : Nous essayons de faire des sensibilisations par le renforcement de capacités à l’intérieur des organisations intervenant sur le genre, et par la participation citoyenne. A ce niveau, nous mettons en œuvre un projet avec le cadre qui est financé par le Fonds commun genre, pour lutter contre les inégalités basées sur le genre, et aussi promouvoir la citoyenneté à l’échelle des femmes et des jeunes qui sont nos cibles principales.


A.BF:
Comment les citoyens perçoivent-ils la question du genre actuellement au Burkina ?

Dr.C: Les gens arrivent actuellement à percevoir la justesse de notre combat. Parce que depuis la nuit des temps, la question du genre a été évoquée dans “la Charte de Kouroukan Founga”, où il est dit qu’il faut impliquer les femmes dans la gestion des affaires courantes. Nos ancêtres étaient donc bien avisés sur l’importance du rôle de la femme dans les prises de décisions. Au Burkina Faso, cette question de participation de la femme a toujours été prise en compte dans les textes, même si sa mise en œuvre cause un peu problème. Ce n’est pas parce que l’on ne sait pas que les femmes doivent participer à la vie publique. On le sait, mais lorsque vous venez pour apporter un changement fondamental de comportement, il faut du temps. Tout changement demande une certaine patience. On ne peut pas brusquer le changement de l’échelle de valeur d’une société sans que cette société ne soit prête à accueillir ce changement. Il faudrait donc que les hommes d’État et les hommes politiques amènent ce changement au niveau de leurs programmes politiques, et qu’ils procèdent à son opérationnalisation, du moment où il sont eux-même sensibilisés.
Le problème ce n’est pas d’introduire la question du genre dans les politiques de développement, puisque c’est déjà fait, et il y a un cadre juridique bien établi sur le sujet au Burkina Faso. Le pays a d’ailleurs signé beaucoup de conventions sur le genre, comme la Charte africaine des droits de la femme. En plus, nous avons une stratégie nationale genre depuis 2009. Nous avons une loi sur le quota genre depuis 2009. Cette loi a connu une relecture par rapport à l’analyse qui a été faite de l’action insuffisante. Une nouvelle loi a donc été adoptée en janvier 2020. Nous venons de terminer des élections. Il faudrait à présent analyser les résultats du processus sur les candidatures pour voir la portée de cette nouvelle loi, puisqu’elle porte sur un quota de candidatures au niveau des partis. Ensuite, il faut analyser les résultats des élus à l’Assemblée nationale, et cette analyse est entrain d’être menée pour pouvoir dire avec certitude ce qui a été fait.
Déjà, nous pouvons dire que des 126 partis politiques qui ont pris part aux élections, il n’y a que 24 qui ont appliqué totalement la loi sur le quota genre. Sur certaines listes, d’autres ont respecté les deux tiers mais pas totalement sur l’ensemble de leurs listes. Et sur les partis qui ont respecté la loi, on voit que ce sont des partis qui ne sont pas régulièrement présents à l’Assemblée nationale.


A.BF: le Burkina est en proie à l’insécurité et au terrorisme. Quelle peut être la contribution des femmes dans le combat pour le retour de la stabilité et de la paix ?

Dr.C : Nous nous sommes fixés pour mission d’influencer les politiques en faveur d’une meilleure participation de la femme aux questions de paix et de sécurité, sur la base des résolutions 1325, 1820 et 2242 des Nations Unies, ratifiées par le Burkina Faso. Nous savons que la femme est au centre de la société : elle est éducatrice. C’est elle qui entretient les relations sociales, en ce sens qu’elle est davantage mieux placée pour identifier les nouveaux entrants dans une communauté. Elle est aussi en première ligne pour constater le changement de l’homme et des enfants. Pour être plus claire, la femme peut prévenir la radicalisation de ses enfants, si elle est prévenue et sensibilisée en la matière. Elle doit être la porte d’entrée pour éduquer les jeunes contre la radicalisation.
Nous avons en ce sens fait des ateliers où nous avons formé au niveau de la coalition nationale des femmes pour la paix, des organisations à la base sur la compréhension des textes comme les résolutions 1325, 1820 et 2242. Il y a eu aussi des formations sur la médiation communautaire et le leadership féminin. Tout ceci pour leur permettre de faire face à la situation sécuritaire qui prévaut au Burkina Faso.

A.BF: 09 femmes dans le gouvernement DABIRÉ II, une mais pas encore suffisant pour certains qui revendiquent la barre des 30% de femmes dans le gouvernement. Qu’en pensez-vous ?

Dr.C: C’est vrai que lorsque nous avons fait le plaidoyer pour la participation politique des femmes, nous nous sommes fixés le minimum de 30%, sinon au niveau international ou même dans les organisations africaines par rapport à leurs documents, ils sont à la parité 50-50. Mais au Burkina, nous avons opté d’aller doucement. C’est vrai que le président du Faso avait promis d’atteindre les 30% depuis longtemps, et que même après ces élections, les 30% n’ont pas pu être atteint. Il faut néanmoins noter que depuis les indépendances jusqu’à aujourd’hui c’est la première fois qu’on a 27% de femmes au Gouvernement. Aujourd’hui, si on analyse le contexte politique, si on analyse le gouvernement tel qu’il a été constitué, je dirai que le président s’est battu pour arriver à 27%, parce que la classe politique ne suit pas le mouvement. Si tous les partis politiques voulaient réellement qu’il y ait 30% de femmes, on serait au delà de ces 30%. Ce n’est pas suffisant mais un effort a été fait pour atteindre ces 27%.
Je vous parlais tantôt de l’analyse genre des élections. Est-ce qu’on a positionné les femmes au niveau des têtes de listes? Si le quota n’a pas été respecté au niveau des têtes de liste, comment voulez-vous qu’on ait des femmes à l’Assemblée nationale? Si les femmes ne sont pas bien positionnées au niveau des partis politiques, comment pourront-elles l’être au niveau des postes nominatifs ?
Nous allons exhorter les pouvoirs politiques à poursuivre l’effort pour au moins atteindre les 30% au prochain gouvernement tout simplement. Il faut arriver à convaincre toute la classe politique de la nécessité de ces 30% pour les femmes, en n’oubliant pas les jeunes bien-sûr.

A.BF: Pour terminer, que pensez vous de l’entrée de l’UPC dans le gouvernement? Et quel est votre avis sur la création d’un Ministère chargé de la réconciliation nationale ?


Dr.C: La création d’un Ministère de réconciliation nationale est une bonne chose, parce que cette réconciliation fait partie des priorités de l’État. Alors, l’entrée de l’ancien chef de file de l’opposition pourrait être perçu comme un début de cette réconciliation nationale. Lorsque vous voyez deux entités qui étaient farouchement opposées, venir se mettre ensemble pour mener le même combat, on ne peut que l’apprécier positivement. Maintenant, c’est le temps qui nous dira si ça a été une bonne chose ou pas. En terme de conception, d’entrée, c’est une bonne chose, à partir du moment où la réconciliation nationale est une obligation.

Intervview réalisée par Nabi BAYALA