[ EDITO ] Burkina Faso : le peuple électeur et le peuple marcheur doivent se réconcilier

C’est un euphémisme de dire que le Burkina Faso est à la croisée des chemins. Une page douloureuse de l’Histoire est en train de s’écrire. L’heure est grave. Tant et si bien que le premier d’entre les Burkinabè est sorti pour s’adresser à son peuple. Le peuple dont la résilience et la combativité sont à saluer, mais dont la volonté est illisible. En vérité, dans l’unité en tant que nation, les Burkinabè se scindent politiquement en deux blocs : le peuple des urnes, et le peuple de la rue. Ainsi, aussi longtemps que ces deux entités ne se réconcilieront pas, nous serons dans l’éternel recommencement.

L’imprévisibilité semble être une des marques des Burkinabè. Au soulèvement populaire de 1966, Ils ont appelé l’Armée au pouvoir, avant de saigner des décennies durant pour renvoyer les militaires dans les casernes. Une fois les civils au pouvoir, ils deviennent nostalgiques des militaires et des régimes d’exception. Et, les plus grandes crises institutionnelles que le Burkina a connues ont eu lieu aux lendemains d’élections où le peuple était sensé s’être clairement exprimé à travers le suffrage universel. Soulèvement populaire de 1966, crise politique de 1998, mutineries de 2011, crise sécuritaire de 2016 : tous ces événements ont eu lieu aux lendemains de plébiscites.

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D’où cette question fondamentale : Les citoyens qui votent regrettent-ils si tôt leurs choix ? Notre système électoral souffre-t-il d’un manque de légitimité ?

Le Burkina politique est fait de deux peuples : d’une part, ceux qui votent et légitiment ; et d’autre part, ceux renversent et font plier.

A Kaya, à Fada, à Dori et à Titao, les électeurs ont voté sans équivoque Roch Marc Christian KABORE. Ils ont tout à fait le droit, et même le devoir, de lui demander le respect de ses promesses. Mais sont-ce ces mêmes électeurs qui ont marché ces derniers temps pour crier leur ras-le-bol ? Rien n’est moins sûr.

Nous sommes dans un cercle vicieux. Les uns, plus nombreux, intronisant ; et les autres, plus influents, détrônant. Où se trouve donc le casus belli entre ces deux peuples ? Il se trouve dans la manière dont notre démocratie fonctionne.

En effet, la jeune démocratie burkinabè est déjà déliquescente de par l’impact destructeur de la cupidité et de vices satellites. C’est un système qui favorise le maintien de la même classe politique (celle de la génération 80, pour le cas actuel). C’est ainsi qu’il est très difficile pour une opposition d’accéder démocratiquement au pouvoir sous nos cieux. Et partout en Afrique où les oppositions, officielles ou officieuses, se convainquent que l’alternance n’est pas possible par les voies républicaines, elles prennent le maquis, provoquent des putsches, ou suscitent des révolutions.

Notre système démocratique est ainsi malade de son verrouillage.  Un verrouillage dénoncé depuis longtemps par le Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs (MAEP).

Le Dialogue politique convoqué par le président du Faso, est donc une occasion pour la classe politique de repenser notre modèle électoral.

Dans cette logique, le nouveau système électoral doit favoriser la compétition saine des idées, la redevabilité, la pleine participation citoyenne, et surtout l’alternance pacifique à tous les niveaux de pouvoir. La Constitution de la Vème République comporte d’intérressantes innovations en la matière.

L’Opposition sera donc bien inspirée de retourner à la table du Dialogue, avec des propositions et des pressions fortes pour que soient opérées des réformes en profondeur.

La Majorité, elle, devra suffisamment tirer leçon des péripéties de notre histoire récente, pour accepter des avancées qui seront bénéfiques au pays tout entier.

Au-delà des questions purement politiques, notre Nation a besoin de soigner ses plaies sans tabou aucun. Et le processus de réconciliation est une tribune pour justement repenser le système démocratique et l’architecture globale de notre société. En effet, l’inéquitable répartion des richesses, les stigmatisations de communautés et de castes, le sentiment d’abandon qui habite certaines couches sociales, sont la sève nourricière des troubles socio-politiques.

Une fois que nous aurons renforcé et crédibilisé nos institutions, et que le jeu électoral sera ouvert compétitif, nous aurons rapproché le peuple des urnes et celui de la rue. Et ce sera une étape importante vers la construction d’un Etat stable, souverain et véritablement démocratique. Qu’il en soit ainsi!

La Rédaction

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