Ceci est une tribune libre du journaliste Newton Ahmed Barry, sur la sortie médiatique du Président Ibrahim Traoré à Kaya.
La Révolution par le verbe !
Il suffit de dire et c’est fait. A chacune des sorties du capitaine président, il répète à l’envie que son intention « c’est de tout révolutionner… ». Certains saluent « une intention affirmée », d’autres se réjouissent « du volontarisme et de l’engagement… ».
On sait que ce seul fait « électrise » la foule des partisans et le capitaine président y prend un réel plaisir.
Mais les foules ne se posent pas beaucoup de questions. Elles sont, pour l’essentiel, acquises et ne prêtent guère attention aux incohérences et aux incongruités.
Ceux qui se sont donné la peine de suivre le capitaine et qui l’observent parler sont, à chacune de ses sorties, un peu plus perplexes.
Il n’y a pas de « révolution », sans « une théorie révolutionnaire ». Ça veut dire qu’on ne révolutionne que lorsqu’on a pris le temps d’étudier la société à révolutionner.
Le Burkina est immensément riche, comme en est convaincu le capitaine IB, géologue de formation avant de rejoindre l’armée. Il sait sans doute de quoi il parle.
Mais comme l’histoire de l’humanité le démontre, les richesses minières sont un atout, mais elles ne sont pas tout.
Deux preuves :
- À Conakry, il pleut comme si le ciel était percé. Mais jusqu’à présent, Ouagadougou est mieux desservie en adduction d’eau potable que Conakry ;
- En Centrafrique, le diamant se ramasse à fleur de sol. À Bangui, jusqu’à présent, il n’y a pas une route digne de ce nom.
La révolution n’est pas que la volonté !
Il faut avoir réfléchi la révolution auparavant et l’avoir articulée en un processus authentique que l’on peut implémenter avec un horizon que l’on visualise comme étant un but humain ultime.
C’est vrai que itérativement, le président capitaine dit « qu’il a réfléchi et il sait vers où il veut aller et il a déjà ses partenaires… ». C’est probablement vrai. Mais, de ce que l’on sait des théories révolutionnaires, elles sont connues, partagées et scientifiquement discutées. Elles ne sont pas un objet secret ou connu que de quelques initiés.
Au détour d’un contact avec la foule, le président lâche quelques bribes, comme l’entreprenariat rural. Mais cette question a fait l’objet de théorisation depuis les kolkhozes bolcheviques, la révolution de Mao, la révolution des khmers rouges et plus près de chez nous le Tercerisme de Laurent BADO. Où se situe l’entreprenariat rural de IB ? Comment compte-t-il le mettre en œuvre ? Sous le format kolkhozien ou sous le format de l’actionnariat populaire façon Laurent BADO ? Le premier n’a jamais correspondu à l’esprit de la production du « type familial », qui est celui en vogue dans nos campagnes. C’est pourquoi le RDA avait su disqualifier les partis de gauche dans nos villages avec son slogan « ko tid pouye », traduisant ce slogan par si tu as deux moutons « un est à toi et l’autre c’est pour l’Etat ». « Si tu as deux femmes, une est pour toi et la deuxième est pour l’Etat ». Le RDA a su ainsi astucieusement dégoûter les paysans du communisme. Qu’en-est-il de la formule de BADO de l’actionnariat populaire ? De prime à abord, elle est alléchante. Mais dans un milieu rural complètement dévasté par la guerre terroriste, même l’action à 1000 f Cfa est hors de portée pour les paysans dont la quasi-totalité aujourd’hui est déjà PDI ou en attente de l’être. Chaque jour, une dizaine de villages sont sommés de déguerpir. Nous avons 9000 villages environ sur l’ensemble du territoire. La totalité de ceux du Sahel ont disparu. Dans le Centre-Nord toutes, les 3 provinces sont touchées. C’est pourquoi elles sont toutes sous l’état d’urgence. Idem à l’Est, dans une grande partie du Mouhoun, etc…
Par contre, en prenant la peine de mieux lire et de se documenter, des formats pratiques performants sont mis à jour qui sont plus adaptés à nos contextes. Ils ne sont évidemment pas révolutionnaires, mais pragmatiques.
Enfin, un révolutionnaire ne nie pas l’histoire : « Avant moi il n’y a rien eu. Je suis celui qui commence tout. » La révolution n’est pas une invention, elle s’opère sur un existant.
C’est pourquoi par exemple à Kaya les croûtes devanciers du capitaine avaient réalisé l’adduction d’eau de la ville à partir du Lac Dem. Il lui appartient, lui le fils prodigue, au moins de veiller à ce que cette installation ne soit pas coupée par les terroristes pour aggraver la détresse hydrique d’une ville qui étouffe déjà sous le flot incessant et quotidien des PDI (personnes déplacées internes, NDLR).
Ces mêmes devanciers indignes n’ont pas su construire des usines de raffinage de pétrole, mais ils ont construit la grande salle polyvalente de conférence qui a accueilli le meeting exalté du lancement de la guerre. Pour l’instant, IB n’a pas posé une pierre quelque part qui restera le témoignage de son passage à la tête de l’Etat burkinabè.
On n’insulte pas ses pères, on les honore. On ne méprise pas ce qu’ils ont fait. On fait mieux qu’eux et on laisse à la postérité de juger. Le pouvoir est fini le jour même où on l’a acquis. Chaque jour qui passe le rapproche de sa fin que de ses débuts.
Enfin, chaque pouvoir produit son propre passif comme la corde qui sert au pendu. Chaque jour il alourdit ce passif. Le passif ultime du régime de IB, dont il aura du mal à se défaire, c’est celui des libertés et des droits humains. La guerre ne justifie pas tout. Elle n’absout pas tout. Bien au contraire. La société humaine est complexe et sa direction encore plus complexe en situation de guerre.
Il ne suffit pas que toute voix discordante se taise pour laisser place à la chorale des partisans pour que la victoire soit assurée. J’ai bien aimé un passage du dernier post de Yacouba Ladji Bama « laisser le succès de vos actions parler pour vous ». Lui au moins, il n’est pas comme NAB. Il n’est pas contre vous. Il faut donc l’écouter.
Je souhaite à chacun ( musulman comme chrétien) un excellent mois de jeûne. Qu’Allah, qui lit dans nos cœurs, nous fasse miséricorde !
Allah aide, ceux qui s’aident !
NAB