[Tribune] Le régime Traoré ou le dernier mohican de l’Armée au pouvoir

Ceci est une tribune de Dr Arouna Louré, médecin, acteur de la société civile, et ancien délégué à l’Assemblée Législative de Transition.

J’ai essayé le silence, mais ma patrie est trop au bord du gouffre pour que je sois un complice silencieux. En effet, comme le disait Georges Clemenceau : « la guerre, c’est une chose trop grave pour la confier à des militaires. » Surtout pas aux militaires burkinabè d’aujourd’hui, encore moins aux capitaines burkinabè, qui n’ont ni l’intégrité, ni la compétence (je ne parle pas d’expérience, car il faut d’abord de la compétence pour qu’on parle d’expérience), encore moins l’humilité et la modestie pour la gestion du pouvoir d’Etat.

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Quelle est la situation de notre économie ?

Le journaliste Newton Ahmed Barry (NAB), dans une publication le 05 janvier, faisait cas de la souffrance de notre emprunt obligataire de 150 milliards de francs lancé par l’Etat à un taux de 6% sur 5 ans (c’est à dire très alléchant) pour le mois de décembre. Un communiqué signé le 06 janvier, c’est-à-dire le lendemain de la publication de NAB, par le ministère de l’économie, des finances et de la prospective, parlait de succès de cet emprunt obligataire à 115,33%. Est-ce une communication mensongère d’Etat pour rassurer la populace ou une réalité ? Ce ne serait ni la première fois, ni la dernière d’ailleurs.

Cependant, ce que je sais, à l’état actuel des choses, le Burkina Faso a comme encours de sa dette publique, environ 6.000 milliards (deux fois son budget annuel, mais un peu moins de 60% de son PIB, ce qui n’est pas mauvais en terme d’endettement). Ce qui est peut-être inquiétant, c’est que les autres s’endettent pour des projets structurants, mais nous, nous nous endettons pour notre vie quotidienne.

Par ailleurs, en 2022 nous avons eu une recette propre d’environ 2.250 milliards de francs contre 2.600 milliards de francs en prévision pour 2023. La petite parenthèse est que les recettes propres de l’Etat burkinabè sont basées essentiellement sur les recettes fiscales (sur les 2.600 milliards, les recettes fiscales font 2.400 milliards).

Cependant, les recettes fiscales ne sont que le corollaire de la santé de notre économie. En termes simples, pas d’économie ou en cas de récession ou de crise économique, pas de recettes fiscales. Ce qui est inquiétant dans cette perspective, c’est que l’Etat compte mobiliser davantage de recettes fiscales, malgré la fuite des entrepreneurs, malgré la fermeture des mines, malgré l’absence d’économie dans plus de 40 % du territoire. Cela reste néanmoins possible si nous relançons l’économie et si nous savons arrêter la déperdition fiscale et luttons contre la corruption (chose qui tardent à venir).

Sur les 3.200 milliards de francs prévisionnels du budget national, nous payerons environ 900 milliards de dettes, 50 % de nos recettes propres (plus de 1.000 milliards seront utilisés pour les salaires), puis une autre partie pour le fonctionnement. Ce qui veut dire qu’en plus du budget pour les questions d’armements et d’humanitaire, nous n’avons quasiment pas de budget d’investissement. A ce rythme, les conséquences seront les défauts de payement de nos dettes (comme le Ghana vis-à-vis de sa dette extérieure actuellement) et voire le défaut de payement de nos salaires et/ou du fonctionnement, surtout que nous avons décidé de mettre à dos beaucoup de nos partenaires dont les aides n’étaient pas négligeables dans notre fonctionnement.

Que dire alors sur le plan socio-politique ?

La fracture de la cohésion sociale se poursuit. Ainsi, les grandes parties prenantes de la gestion du pouvoir d’Etat (les coutumiers, les religieux, les politiques, les organisations de la société civile, l’armée et les opérateurs économiques) sont à l’affut de la moindre erreur pour en découdre avec un jeune président qui n’a point les compétences, et qui est imbu de sa personne. Un président qui use des stratagèmes populistes utilisés par le mouvement 5 étoiles en Italie ou encore par les mouvements populistes de l’Amérique latine.

De même, aucun projet de société de la gestion du pouvoir d’Etat n’a été présenté aux Burkinabè. Des milices ignares des questions de la gestion de l’Etat, qui, à mon avis, se font soudoyer, se transforment en gendarmes contre toute personne qui viendrait à avoir un avis contraire sur la gestion de “Saint IB”. Les enlèvements et les exactions sont devenus une norme dans le Burkina d’aujourd’hui.

Ainsi, à l’état actuel des choses, IB nous conduit droit dans les abîmes. Car, comme j’aime le dire, les différents régimes depuis les indépendances ont échoué sans avoir une crise sécuritaire et humanitaire à leurs trousses. Il serait alors absurde de croire qu’un novice des questions d’Etat et de la diplomatie, mais surtout imbu de sa personne, puisse nous sortir du bourbier dans lequel nous nous trouvons.

Par ailleurs, on peut le dire sans ambages, l’échec malpropre et ignominieux de IB sera l’échec de toute l’armée, déjà que l’opprobre est jeté sur elle, selon les termes mêmes du président capitaine.

Que faire ?

Voilà la question que je me pose depuis maintenant plus de deux ans. Actuellement, il nous faut une union sacrée des fils et des filles de notre pays pour que chacun puisse se donner à fond pour relever les défis qui nous assaillent. Cette union se fera par un consensus des parties prenantes de la gestion du pouvoir d’Etat avec une justice transitionnelle pour régler les questions de crimes économiques et des crimes de sang (je reste fermement opposé à l’impunité). A l’issue de cela, une nouvelle base sacrée devra être posée pour la gouvernance future. Cependant, cela ne pourra se faire qu’autour d’un président civil, de préférence, ou militaire (à éviter car ne fera pas le consensus au sein de l’armée et ne pourra fondamentalement pas réformer l’armée) consensuel des parties prenantes de la gestion du pouvoir d’Etat. De cette union sacrée, qui fera appel à toutes les compétences, nous pourrions créer une cohésion sociale forte, relancer l’économie, forger une vraie diplomatie de souveraineté dans le respect des autres et assoir une vraie démocratie arc-boutée sur nos valeurs endogènes d’intégrité et de patriotisme.

Dr Arouna Louré