[Tribune] Burkina Faso : comment sortir de la zone de turbulence ?

Ceci est une tribune de Sidzabda Sawadogo.

Depuis le départ précipité du Président COMPAORE, le Burkina Faso est entré dans une zone de turbulence caractérisée par une instabilité politique chronique. En effet, entre 2014 et 2022, le Burkina a connu pas moins de 5 présidents, 3 coups d’État et 3 transitions. On peut y adjoindre deux coups d’État manqués et au moins une demie douzaine en terme d’initiatives ou de tentatives de coups d’État… Cette situation s’explique en partie par le fait que la contradiction de fond ayant provoqué les événements des 30 et 31 Octobre 2014 n’a toujours pas été soldée, ou du moins, elle a été mal gérée.
Les protagonistes de la chute du CDP en 2014 sont les dauphins potentiels du Président COMPAORE. Chacun étant convaincu de remporter le graal après le départ de l’enfant terrible de Ziniaré. Toutefois, une fois la démission du Président COMPAORE actée, les maîtres d’œuvre de l’aile politique du régime CDP ayant créé le MPP vont manœuvrer pour écarter les potentiels candidats gênants. C’est ainsi que la transition de 2014 à 2015 va voter une loi inique d’exclusion pour mieux transmettre le pouvoir au MPP, en éliminant les candidatures gênantes aussi bien pour les législatives que pour les présidentielles.
Conséquence, on a assisté à des élections tronquées en 2015, ce qui va aboutir à l’élection d’un président à la légitimité contestable, le président Roch KABORE. En plus du manque de légitimité, le régime du MPP est considéré comme étant le plus incompétent, le plus corrompu et le plus laxiste que le Burkina n’ait jamais connu. Le Président Roch Kaboré a simplement refusé de gouverner, d’assumer son leadership, en somme d’être le président que le peuple burkinabè attendait: renforcer les acquis de la gouvernance COMPAORE, la stabilité et la sécurité en priorité, corriger les insuffisances et implémenter ce qui n’a pas été fait.
Que nenni. En lieu et place de cela, on a assisté médusé à une gouvernance approximative, aux antipodes des attentes du peuple, qui avait placé toute sa confiance au Président KABORE, élu par certains pour son expérience et sa proximité avec le président COMPAORE, qu’il à servi de 89 à 2014, à des postes plus prestigieux les uns que les autres:ministre des transports, premier ministre, président de l’Assemblée sous deux mandats, président du CDP plus de dix ans, chargé de mission à la Présidence du Faso. Excusez du peu. Aucun Burkinabé n’à occupé autant de postes hauts placés, de la Haute Volta à nos jours. Aucun autre Burkinabé n’aura un tel privilège jusqu’à la fin des temps. Tout cela pour dire que les Burkinabé étaient en droit d’attendre une toute autre gouvernance du Preka, basée sur le progrès continu, dans un climat apaisé, sans rancœurs, en rassemblant toutes les compétences du pays autour de l’essentiel, le bien-être des Burkinabé.
En lieu et place de cela, on a eu droit à 6 longues et interminables années de désolation, de déception et de deuil, ponctuées par des attaques terroristes chroniques, près de 2 000 0000 de déplacés et par-dessus tout la perte de près de 40% du territoire national. Cette liste non exhaustive des griefs faits au régime MPP va susciter et justifier l’avènement du MPSR le 24 janvier 2022. L’armée une fois de plus se voit obliger de limiter les dégâts, en s’immisçant dans la gestion du pouvoir d’État. Le lieutenant-colonnel Paul-Henri Sandaogo DAMIBA devient chef de l’État. Les priorités du MPSR et du Président DAMIBA sont la restauration de l’intégrité du territoire national, les réformes politiques et institutionnelles,la réconciliation et la cohésion sociale.
Toutefois les 29 et 30 septembre 2022, les divergences latentes dans la conduite des affaires de l’État vont éclater au grand jour. Le capitaine Ibrahim TRAORE et ses hommes exigent la démission du Président DAMIBA. Après de longues et difficiles tractations, le Président DAMIBA démissionne le 02 Octobre 2022. Le capitaine Ibrahim TRAORE prend les commandes du MPSR et devient le nouvel homme fort du pays des hommes intègres. Le MPSR 1 cède du coup la place au MPSR 2, sous l’égide du Capitaine TRAORE, 34 ans. Il succède à DAMIBA qui lui en avait 41. Signe des temps ? Pourquoi pas !
Le leader du MPSR 2 est arrivé aux affaires avec la volonté affichée de ses soutiens de se rapprocher davantage de la Russie. Cette position s’explique par le sentiment anti politique français grandissant en Afrique et particulièrement dans la sous région Ouest africaine. Par ailleurs, l’opinion publique réfute majoritairement l’idée d’un éventuel retour d’anciens dignitaires, peu importe leurs bords politiques. Elle souhaite l’émergence d’un leadership nouveau au sein des partis politiques et de la société civile. Elle attend et espère une offre politique nouvelle, originale et pertinente. Eddie Komboigo l’a appris à ses dépends lorsqu’il a failli être lynché par certains manifestations au restaurant La Perle en marge des assises nationales.
Qu’à cela ne tienne. Le Président TRAORE devrait savoir que la conquête unie et la gestion divise. Le Président TRAORE va faire face aux dures réalités du pouvoir, surtout dans un contexte aussi complexe que celui du Burkina. Un pays où tout est perçu sous le prisme politique. Il aura fort à faire face aux conflits d’intérêts, aux contradictions internes, aux jeux des alliances et contre alliances, aux intrigues et autres complots, aux querelles de leadership, aux jeux d’influences, j’en passe et des meilleurs. Sachant qu’il doit éviter de se laisser entraîner dans la mare politique, au risque de perdre de vue la priorité absolue du MPSR 2, la lutte contre le terrorisme.
Que faire pour une transition réussie avec le MPSR 2 ?
 Le Capitaine Ibrahim TRAORE, président du MPSR 2, chef de l’État doit être un arbitre impartial du jeu politique.
 Éviter de sombrer dans le populisme en cédant aux desideratas de la rue.
 Diversifier les partenaires et travailler à faire évoluer les accords de partenariat en vigueur.
 S’entourer de compétences avérées au plan politique, sécuritaire, économique, diplomatique notamment.
 Travailler à une collaboration franche avec le MPSR 1 dans l’intérêt supérieur de la nation. Son expérience de 8 mois dans la gestion de l’appareil d’État lui sera utile.
 Travailler à renforcer la cohésion et l’unité au sein des FDS.
 Préserver et renforcer les acquis du MPSR 1 et corriger les insuffisances.
 Intégrer de manière équitable les principales forces politiques dans les organes de la transition.
 Veiller à ce que la classe politique soit minoritaire dans les différents organes de la transition.
 Être regardant sur la qualité des hommes politiques qui vont intégrer les organes de la transition. Ils doivent être compétents, intègres, patriotes et réformateurs .
 Ne pas tomber dans le piège de la remise en cause systématique des actions de son prédécesseur.
 Travailler à faire rentrer tous les anciens chefs d’État du Burkina en exil. Ils sont trois ; les Présidents Blaise COMPAORE, Isaac ZIDA et Paul Henri Sandaogo DAMIBA. Cette situation est inédite et n’existe dans aucun autre pays. Il faut y mettre un terme au plus vite. Cela n’honore pas notre pays.
 Faciliter le retour des exilés dont certains peuvent apporter beaucoup dans le développement du pays.
 Évacuer tous les dossiers judiciaires dits emblématiques pendants, de manière transparente et en toute objectivité.
 Accorder une grâce présidentielle et où faire voter une loi d’amnistie en vue de promouvoir la cohésion sociale et l’unité nationale.
 Libérer les FDS détenus avec en contrepartie leur participation active à la lutte contre le terrorisme
 Permettre aux FDS radiés de participer à la lutte contre le terrorisme
Une fois l’intégrité du territoire national rétablie, organiser des élections libres, inclusives, transparentes, dont les résultats ne seront pas contestés. Ainsi le président élu à l’issue de la transition bénéficiera d’une légitimité irréfutable et pourra gouverner en toute quiétude un pays sécurisé, réconcilié, doté d’institutions issues de réformes consensuelles. C’est à ce prix que fort de notre plus grande richesse, la qualité de nos ressources humaines, nous pourrons envisager un avenir commun radieux et rayonnant…

Sidzabda Sawadogo