[Tribune] Auguste Denise Barry prône une « marshallisation » du financement de la sécurité en Afrique

Ceci est une tribune du Colonel Auguste Denise Barry sur le financement de la sécurité en Afrique.

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En matière de sécurité et de défense, il n’existe évidemment pas d’homogénéité entre les États africains au regard du poids qu’ils représentent intrinsèquement, pris individuellement.
Quelques-uns investissent considérablement dans les dépenses militaires et sécuritaires en vue de renforcer leur système de sécurité et de défense. Six États qui par ailleurs, principaux contributeurs au budget de l’Union Africaine, cumulent à eux seuls plus de la moitié des dépenses militaires du continent. Il s’agit de : Algérie, Egypte, Angola, Afrique du Sud, Maroc et Nigéria. D’autres sont moins diligents en la matière, et par conséquent sont moins performants dans leur gouvernance sécuritaire.

Comment amener alors nos Etats, pris individuellement, à la dimension capacitaire pour leur permettre d’affronter efficacement et durablement l’insécurité tant sur le plan national que continental, puisqu’ils constituent ou devraient constituer en même temps des leviers sûrs pour l’UA ?

Il faut constater qu’en principe dans un Etat normal capacitaire il y a moins de problème d’autonomie stratégique. C’est son mode normal de fonctionnement et il est maître de ses choix stratégiques, surtout en ce qui concerne les domaines régaliens, comme la sécurité et la défense. En revanche, tout le problème se pose dans le cas des pseudo-Etats ou proto-Etats.

En effet, comment un tel pays, écartelé qu’il est entre plusieurs priorités, peut-il financer son développement et dans le même temps prendre en charge les besoins de défense et de sécurité qui, par essence sont très coûteux ?

Cela paraît difficile, mais pas impossible. On pourrait l’envisager de façon intelligente et stratégique, par la mise en place par exemple d’un cadre permettant une fois pour toute de financer les besoins de défense et de sécurité des Etats, sous la forme d’une « marshallisation » du financement de la sécurité sur le continent. Lorsqu’on regarde ce qui s’est passé en Ukraine, avec l’aide tous azimuts aussi bien en équipements qu’en ressources financières, conseils et autres, on se rend bien compte qu’il est possible de sortir des cadres normés habituels, pour agir de façon efficiente face aux menaces.

Comparaison n’est certes pas raison, mais j’ose parier, si bien sûr l’on fait abstraction des dimensions instrumentales et des non-dits de la crise sahélienne, que la mobilisation du 10ème d’une telle aide au Sahel, aurait permis d’avancer sérieusement dans la lutte contre l’insécurité.

L’idée est donc de faire financer notre autonomie et par la suite l’assumer. C’est une vision stratégique à construire, en se fondant sur le devoir de solidarité de la communauté internationale, selon les principes de la charte de l’ONU et subséquemment du système financier international. L’Afrique a été vidée de ses richesses des siècles durant pour construire l’Europe et bien d’autres, et c’est le moment d’opérer un retour d’ascenseur au continent pour lui permettre de financer ses boussoles stratégiques et de résoudre durablement ses problèmes de développement, de stabilité et de sécurité.

Mais, disons-le tout net, l’Afrique n’obtiendra rien si elle pense à une quelconque philanthropie ou commisération des puissants de ce monde. Personne n’ira décrocher la lune pour nous. L’Afrique doit se donner les moyens pour s’imposer et imposer l’atteinte de ses objectifs stratégiques. Du reste, ses boussoles stratégiques devraient en donner les pistes véritables et appropriées. En tout état de cause, s’il est bon de critiquer les africains sur leur irresponsabilité, ce qui est du reste vrai dans bien de cas, les africains conscients auxquels devraient s’associer des appuis externes, doivent mettre résolument la pression sur leurs dirigeants, afin que soient instaurées durablement, voire définitivement, des dynamiques de gouvernance vertueuse dans nos pays.

Il conviendra aussi de régler la question de la souveraineté dans son rapport à l’autonomie stratégique, grâce à un alignement subtile et adéquat entre la défense des intérêts nationaux et celle des intérêts collectifs. Comme on l’a souvent vu dans certains dossiers, (Libye, Ukraine, réchauffement climatique, etc.), l’Afrique n’a pas toujours su parler d’une seule voix pour défendre efficacement ses intérêts collectifs. C’est un défi qu’il faut relever absolument, si l’on veut parvenir à l’autonomie stratégique au niveau étatiques, mais aussi dans celui des instances sous-régionales et continentales.

D’ailleurs, pour terminer sur cette question, je me suis interrogé pour savoir si en réalité, le problème même de l’Afrique ne viendrait pas de la forme des entités politiques à caractère étatique. En effet, l’échec de la construction étatique n’est-elle pas une preuve supplémentaire qu’il faille regarder courageusement vers d’autres alternatives ? En tout cas, tout le monde sait comment les Etats africains ont été formés à la Conférence de Berlin (15 novembre 1884 au 26 février 1885). Ne faudrait-il pas poser véritablement le problème une bonne fois pour toute et trouver les solutions les plus avantageuses à même de poser les fondements d’entités viables ? Ne serait-il pas temps de remettre sur la table les débats sur le fédéralisme comme ce fut le cas au moment des indépendances africaines ?

Comme on le voit, l’autonomie stratégique du continent africain est intimement liée à celle des Etats. Qu’il s’agisse de l’une ou l’autre, elles devraient se réaliser grâce à une meilleure prise de conscience et une responsabilisation générationnelles.

Auguste Denise BARRY