Russie : le chef du Groupe Wagner annonce une rébellion armée

Le patron de la société de mercenaires de la Russie a affirmé, dans la nuit de vendredi à samedi, avoir franchi la frontière avec l’Ukraine, accompagné de 25 000 hommes, pour « libérer le peuple russe ». Des « activités antiterroristes » sont en cours à Moscou.

Le chef du Groupe Wagner, Evgueni Prigojine, a affirmé, samedi 24 juin, être entré en Russie avec ses troupes dans le but de renverser le commandement militaire, se disant « prêt à mourir » avec ses 25 000 hommes pour « libérer le peuple russe ». Il a assuré, samedi, se trouver au quartier général de l’armée à Rostov, centre névralgique des opérations en Ukraine, et contrôlé plusieurs sites militaires. « Nous sommes au QG, il est 07 h 30 du matin » (6 h 30 à Paris), a dit Evgueni Prigojine dans une vidéo sur Telegram. « Les sites militaires de Rostov sont sous contrôle, y compris l’aérodrome. »

Annonces

Le parquet russe a pour sa part annoncé une enquête pour « mutinerie armée » contre M. Prigojine, entré en rébellion après avoir accusé l’armée régulière russe d’avoir bombardé ses hommes. Les autorités ont renforcé les mesures de sécurité à Moscou et dans plusieurs autres régions du pays.

« On continue, on ira jusqu’au bout », a lancé le chef du groupe paramilitaire dans un message audio sur Telegram. « Nous détruirons tout ce qui sera mis sur notre route », a-t-il menacé. « Nous sommes tous prêts à mourir, tous les 25 000. Et après il y en aura encore 25 000. Parce que nous mourons pour la patrie, nous mourons pour le peuple russe, qu’il faut libérer de ceux qui bombardent la population civile », a-t-il martelé par la suite.

Il a déclaré que ses troupes, jusqu’à présent déployées en Ukraine, avaient traversé la frontière russe et étaient entrées dans la ville de Rostov, dans le sud de la Russie. Il a aussi assuré qu’elles avaient abattu un hélicoptère russe qui avait « ouvert le feu sur une colonne civile ». Il n’a pas apporté de preuve de ces affirmations ; l’Agence France-Presse (AFP) n’a pas été en mesure de confirmer leur véracité.

A Moscou, les mesures de sécurité ont été « renforcées » autour des sites sensibles, selon l’agence TASS. Des images publiées sur les réseaux sociaux et sur des médias en ligne, et dont l’AFP n’a pu confirmer l’authenticité, ont montré des véhicules militaires circulant dans la capitale, aux abords du ministère de la défense, et positionnés devant la chambre basse du Parlement, la Douma, à quelques dizaines de mètres du Kremlin.

Le maire de Moscou, Sergueï Sobianine, a par ailleurs annoncé samedi matin que des « activités antiterroristes » étaient en cours dans la capitale. « Du fait des informations [nous] parvenant, des activités antiterroristes sont en cours à Moscou dans le but de renforcer les mesures de sécurité », a-t-il écrit sur la messagerie Telegram.

Le gouverneur de la région de Rostov a pour sa part appelé la population à « rester à la maison », et celui de Lipetsk, ville située à 420 kilomètres au sud de Moscou, a également annoncé « des mesures de sécurité renforcées ». Le procureur général russe, Igor Krasnov, a informé le président Vladimir Poutine « de l’ouverture d’une enquête pénale en lien avec la tentative d’organiser une mutinerie armée », a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

Dans plusieurs messages audio tout au long de la journée, Evgueni Prigojine avait auparavant affirmé que des attaques russes avaient fait un « très grand nombre de victimes » dans ses rangs. « Ils ont mené des frappes, des frappes de missiles, sur nos camps à l’arrière. Un très grand nombre de nos combattants ont été tués », a dit le patron du Groupe Wagner, accusant le ministre russe de la défense, Sergueï Choïgou, d’avoir ordonné ces attaques. Ces accusations « ne correspondent pas à la réalité et sont une provocation », a rétorqué le ministère de la défense dans un communiqué.

Un influent général russe, Sergueï Sourovikine, a appelé les combattants de Wagner à rentrer dans leurs casernes. « Je [vous] demande de vous arrêter. (…) Avant qu’il ne soit trop tard, il faut obéir à la volonté et à l’ordre du président élu de la Russie », a-t-il dit dans une vidéo sur Telegram. Le service de sécurité russe (FSB) a, par ailleurs, appelé les combattants de Wagner à arrêter leur chef. Selon la loi russe, Evgueni Prigojine risque entre douze et vingt ans d’emprisonnement s’il est arrêté.

Cette guerre ouverte expose les tensions au sein des forces russes engagées dans le conflit ukrainien. « Ceux qui ont la responsabilité militaire du pays doivent être stoppés », a ainsi déclaré le patron de Groupe Wagner, appelant les Russes à ne pas opposer de résistance à ses troupes, ou même à les rejoindre. « Ce n’est pas un coup d’Etat militaire, c’est la justice qui est en marche. Nos actions ne gênent en rien les troupes », a-t-il ajouté.

Vendredi, Evgueni Prigojine avait affirmé que l’armée russe reculait dans les zones de Zaporijia et de Kherson ainsi qu’à Bakhmout, une ville du Donbass récemment conquise par les troupes de Moscou. Les Ukrainiens disent, pour leur part, avoir enregistré quelques progrès autour de cette localité très disputée ces dernières semaines. « Il n’y a pas de succès militaires » de Moscou, a encore cinglé M. Prigojine, affirmant que les militaires russes « se lavent avec leur sang », une manière d’affirmer qu’ils subissent de lourdes pertes.

Invérifiables de source indépendante, les propos du patron de Wagner contredisent en tout cas ceux de Vladimir Poutine et de Sergueï Choïgou ; selon le ministre de la défense, l’armée russe « repousse » tous les assauts ukrainiens. Ces derniers jours, le président Vladimir Poutine a répété que la contre-offensive de Kiev était un échec et que les forces ennemies avaient essuyé des pertes quasi « catastrophiques ».

En Ukraine, la Russie a lancé dans la nuit de vendredi à samedi une nouvelle salve de missiles contre plusieurs villes. A Dnipro (Centre), plusieurs maisons ont été complètement détruites et « il y a des victimes », a déclaré le maire, Borys Filatov, sur Telegram. Le chef de l’administration militaire de la capitale ukrainienne, Serhi Popko, a affirmé que la défense antiaérienne avait détruit « plus de vingt missiles dans l’espace aérien autour de Kiev ».

Le ministère de la défense russe a de son côté averti que l’Ukraine se prépare à attaquer de nouveau du côté de la ville de Bakhmout, en « profitant de la provocation de Prigojine » et en « regroupant des unités des 35e et 36e brigades d’infanterie de marine ».

Les factions russes rivales ont commencé à « se dévorer entre elles pour le pouvoir et l’argent », s’est félicité le chef du renseignement militaire ukrainien, Kyrylo Boudanov. A Washington, la Maison Blanche a dit suivre de près la situation.

Enfin, l’opposant russe et homme d’affaires en exil Mikhaïl Khodorkovski a appelé samedi matin à aider le chef du Groupe Wagner. « Oui, même le diable il faudrait l’aider s’il décidait d’aller contre ce régime ! (…). Si ce bandit [M. Prigojine] veut déranger l’autre [M. Poutine], c’est pas le moment de faire la grimace, là, maintenant, il faut aider », a-t-il écrit sur Telegram.

Avec L’AFP et Le Monde