Le Burkina Faso a vécu le 24 janvier 2022 un coup d’Etat militaire. Condamné formellement par certains citoyens et organisations, mais soutenu par de nombreux autres, le retour au pouvoir des hommes en treillis montre à suffisance la crise des systèmes démocratiques dont notre pays a fait les expériences. Cet événement, faut-il le rappeler, survient à un moment critique où le Burkina, secoué par des crises multidimensionnelles, peinait déjà sur le plan économique. La morosité des affaires s’est donc accentuée pour beaucoup de secteurs d’activités, notamment les Bâtiments et travaux publics, auxquels nous-nous sommes intéressés. Nous sommes allés à la rencontre de chefs d’entreprises, d’experts des domaines économique et juridique, ainsi que de membres de délégations spéciales de deux communes. Ce, pour comprendre l’impact du coup d’Etat sur les affaires.

Le premier acteur que nous avons rencontré, le 05 mars, c’est Mahamoudou Zi, Président Directeur Général de Zi Matériaux. Sa société, créée en 1992, est spécialisée dans la production et la commercialisation de matériaux locaux de construction, ainsi que la formation professionnelle dans ses domaines de spécialisation. L’entreprise intervient dans quatre (04) pays de la sous-région, notamment le Togo, le Sénégal, le Niger et la Mauritanie.

Lorsque nous relançons nos partenaires, certains d’entre eux nous disent de patienter parce qu’ils ne savent pas ce qui va se passer avec ce bouleversement.
Mahamoudou Zi
Après avoir présenté de long en large son entreprise, M. Zi nous confie ceci : « Il est évident que le coup d’Etat a eu un impact sur nos affaires. Parce que, lorsque ces genres d’événements surviennent, même des chantiers en cours prennent un coup. Nous travaillons avec certaines ONG. Nous avons postulé à des projets d’études qui étaient en cours. Et lorsque nous relançons nos partenaires, certains d’entre eux nous disent de patienter parce qu’ils ne savent pas ce qui va se passer avec ce bouleversement ».

Plus loin, M. Zi dit avoir suspendu certaines séances de formations à l’extérieur du pays.
Il est difficile de tenir comme responsable la situation politique.
Oumar Tapsoba
Si le ralentissement de l’activité économique peut être attribué à « l’accident du processus constitutionnel » comme le dit le politologue Dr Siaka Coulibaly, il demeure que d’autres événements, en l’occurrence l’insécurité et la crise sanitaire, peuvent aussi justifier cette situation. C’est en tout cas l’avis de l’homme d’affaires Cheik Oumar Tapsoba, responsable Tapsoba Matériaux, une jeune entreprise qui évolue dans la commercialisation des matériaux de construction, basée à Ouagadougou, dans le quartier Kalgondin. Nous l’avons rencontré le 07 mars 2022. Pour lui, « même avant le coup d’Etat, les affaires tournaient au ralenti; donc il est difficile de tenir comme responsable la situation politique ».
En tout d’état de cause, le putsch intervenu le 24 janvier 2022, avec ses corollaires de dissolution du gouvernement et des conseils des collectivités territoriales, aurait porté un coup de massue aux rêves de certains hommes d’affaires.
Le coup d’Etat remet en cause la confiance que certains avaient pour investir.
Me Appolinaire Kyelem de Tambèla
En effet, selon Me Apollinaire Kyelem de Tambèla, Docteur en droit et avocat au Barreau de Ouagadougou, avec qui nous avons pu nous entretenir, « le monde des affaires fonctionne sur la base de la confiance ». Pour cela, précise le juriste, « le coup d’Etat remet en cause la confiance que certains avaient pour investir ». Sur ce plan, poursuit Me Kyelem, « beaucoup peuvent perdre des parts de marché, et d’autres peuvent hésiter à poursuivre leurs investissements, en attendant de voir l’évolution les choses ».
De son côté, Pr Idrissa Mohamed Ouédraogo, économiste et Président du comité directorial du Centre de Formation, d’Orientation et de Recherche pour la Gouvernance Economique (FORGE-Afrique), estime que les entrepreneurs n’aiment pas l’incertitude dans la conduite de leurs affaires. De ce fait, « ils vont adopter une attitude d’attentisme et s’organiser de sorte à engager le moins de ressources possibles dans leurs activités, jusqu’à ce que la situation se clarifie, qu’elle soit moins instable ».
Par ailleurs, l’expédition des affaires courantes assurée par les Secrétaires généraux des mairies et les préfets ne permettait pas de prendre certains engagements comme le stipule la circulaire du ministère de l’économie et des finances après la dissolution des conseils de collectivités.
Nous avons, par mesure de prudence, suspendu le traitement des dossiers liés au foncier, de même que les projets d’investissement.
Mme Esther Tamalgo
Les préfets que nous avons pu rencontrer ont effectivement reconnu des limites dans leurs fonctions d’expédition des affaires courantes. En effet, le 09 mars dernier, nous-nous sommes rendu à la mairie de Komsilga, commune périphérique de Ouagadougou. Madame Wend-Yam Esther Tamalgo/Beogo, Préfet de Komsilga, nous confie en ces termes : « Nous avons, par mesure de prudence, suspendu le traitement des dossiers liés au foncier, de même que les projets d’investissement ». Toutefois, précise madame le préfet, « nous continuons de célébrer les mariages chaque jeudi et samedi et de payer les salaires des agents ».
Même son de cloche à la mairie de Tanghin-Dassouri, commune rurale située à l’Ouest de la capitale. Visiblement débordé par les dossiers, Abdramane Nacro, Préfet de ladite commune, nous a reçu ce 11 mars 2022, après que nous ayons attendu 1h 30 mn avec des usagers qui exprimaient déjà leur mécontentement par rapport à la lenteur liée au traitement de leurs dossiers.
Pour Abdramane Nacro, les délibérations sur le foncier, ainsi que des projets d’investissement de grande envergure, sont suspendus. Il explique cela par le fait qu’une circulaire venant du ministère de l’économie et des finances ordonnerait de limiter les dépenses budgétaires de la mairie. A titre d’exemple, il dit ne vouloir pas signer une demande d’autorisation d’installation d’une usine dans la commune, car, explique-t-il, « c’est un projet dont l’impact environnemental est élevé et la vérification de la conformité des documents prend du temps ».

A ce sujet, Pr Idrissa Ouédraogo soutient que, même si les mesures de recentrage des dépenses publiques ont été levées après l’installation du nouveau gouvernement, il faut retenir qu’à regarder les appels d’offre relatifs aux marchés publics, l’esprit qui a présidé à cette décision demeure toujours. « Il est donc important, si l’on ne veut pas asphyxier le secteur privé, de reprendre rapidement le processus normal des dépenses publiques », a ajouté l’économiste.
Ainsi, détaille l’universitaire, lorsqu’une entreprise fait face à une probable baisse du niveau de ses affaires, elle joue à la prudence. Ne sachant pas à quoi demain ressemblera, l’entrepreneur aura une posture de préservation de ces ressources à travers la réduction des dépenses de production notamment, les dépenses salariales.

Toujours selon les propos de Pr Ouédraogo, « si cette tendance est observée au niveau des entreprises prises globalement, elle va jouer négativement sur le niveau de la production et, partant, sur l’offre globale des biens et services. La baisse de l’offre face à une demande constante ou en hausse, va entraîner une hausse des prix des biens et services ».
Les acteurs économiques et les citoyens formulent donc le voeu qu’avec la mise en place de la plupart des organes de la transition, la stabilité politique revienne au pays et que le combat contre l’insécurité soit victorieux. Car, dit-on, l’argent n’aime pas le bruit.
Daouda Kiekieta (stagiaire)








