Rasmané OUEDRAOGO : le message révolutionnaire du cinéaste-cultivateur

En plus d’être cinéaste et professeur, Rasmané OUEDRAOGO est un cultivateur de pomme de terre dans le Yatenga. Ses photos prises dans son champ, et publiées récemment sur les réseaux sociaux, sont devenues virales. ACTUALITE.BF est allé à la rencontre de « Raso » ce 10 février à l’ENAM où il dispense des cours. Il a lancé un message révolutionnaire à l’endroit de la jeunesse.

Dans son champ d’une superficie de deux hectares situé dans son village natal, Ramdola, à trente kilomètres de Ouahigouya, Rasmané OUEDRAOGO cultive le riz qu’il met à la disposition de sa famille pour l’aider à passer les temps de soudure. A Ouahigouya ville, il cultive la pomme de terre.

La culture de la pomme n’est pas étrangère à Rasmané OUEDRAOGO. Natif de Ouahigouya,  les cultures de contre-saison sont, pour lui, presqu’une tradition.

Rasmané OUEDRAOGO nous parle de sa reconversion dans l’agriculture

En retournant au champ, « Ladji » de « Trois hommes un village » veut interpeller les jeunes sur le fait que tous ne sont pas destinés au bureau et  à l’Administration. « La réussite n’est pas forcement entre quatre murs qui s’appellent bureau », nous dit-il.  Pour lui, il y a une conception qu’il faut battre en brèche : celle d’un monde intellectuel destiné à la bureaucratie, et d’un monde rural fait pour les champs.

« Pendant longtemps, on a été habitué à des discours et slogans de crise alimentaire. C’est une chose à laquelle je ne crois pas, parce que nous sommes un pays qui a des terres arables et riches », énonce Rasmané OUEDRAOGO, avant d’avouer : «Aujourd’hui, j’éprouve de la honte à consommer le riz qui nous est offert par la Corée. C’est un pays qui ne vaut même pas le tiers de notre pays, qui lutte chaque année sur la mer pour récupérer les terres et cultiver ; un pays où, au lieu de mettre du gazon et des fleurs, c’est du riz qu’on sème dans la ville. C’est ce même pays qui vient nous donner à manger ici. Parfois, je suis gêné, j’ai honte. »  

Bien qu’il soit à la retraite, Rasmané OUEDRAOGO est un homme actif dans le domaine de l’emploi. Il apprend à ses employés l’installation des serres, l’entretien du maraichage sous serre et hors sol. Des techniques qui, selon lui, sont peu connues. Avec cette organisation, « Ladji » arrive à vaquer à d’autres occupations.

Rasmané OUEDRAOGO promet, dans les jours à venir, de transporter trois tonnes de pomme de terre sur le marché de Ouagadougou. Les acheteurs seront servis sur commandes inscrites.  Ce sera à prix abordable, et ce sera destiné aux consommateurs, pas aux commerçants. Il n’est pas à sa première expérience. Une année, il a convoyé à Ouagadougou dix tonnes de ses récoltes de pomme de terre, et les a écoulés auprès de consommateurs lambda en moins de trois jours. L’objectif recherché par « Ladji » va au-delà du bénéfice : « je veux montrer que c’est possible, et que, s’il y a vingt, trente ou quarante personnes qui produisent comme cela, nous n’aurons plus besoin d’aller à l’extérieur pour emmener de la pomme de terre. Parce qu’aujourd’hui, les quatre cinquième de la pomme de terre que nous consommons viennent des pays nordiques, notamment de la Hollande. Pourtant, nous aussi, nous pouvons le faire !»

Rasmané OUEDRAOGO explique que, pour le moment, l’Afrique ne produit que 18 à 20% de la tomate qu’elle consomme. Pourtant, ce continent  a plus de terre que l’Italie, la France et l’Espagne réunies. Il va plus loin: « Les produits haut de gamme sont vendus sur les marchés d’Europe, et ce sont les restes qu’on nous envoie. Or, ces restes, on doit pouvoir les produire ici. Si le Maroc produit de la tomate et beaucoup d’agrumes, nous aussi, nous pouvons le faire, parce que nous sommes encore plus verts que le Maroc ».

Pour notre cinéaste, « cultiver vaut mieux que se mentir autour d’une théière ». Selon lui, au lieu de se battre perpétuellement pour des concours hypothétiques de la Fonction publique, il faut investir dans d’autres secteurs, en premier lieu, la terre. Il caricature la situation: « Certains pensent qu’il faut se lever à 4 heures du matin, et aller poser des cailloux pour pouvoir s’inscrire sur une liste. Il y a des gens qui sont devenus des spécialistes dans ce domaine ».

Rasmané OUEDRAOGO conclue en affirmant que l’Etat ne pourra jamais résoudre seul la question de l’emploi. « La volonté, ce n’est pas l’Etat qui la crée, c’est soi-même »,  a-t-il dit.

Souleymane ZOETGNANDE

Quelques anecdotes et phrases fortes tirées de l’entretien

« S’adonner à la pratique de la culture, c’est résoudre beaucoup de questions : la qualité de l’alimentation, le renforcement du corps, la qualité de l’air respiré, le sport ;  c’est aiguiller l’esprit, c’est utiliser utilement sa vie ».

« J’ai envie de me rendre utile. Ce n’est pas au cimetière que je le serai. On aura tout le temps de s’y reposer ».

– « Aujourd’hui, c’est ridicule de se concentrer sur un seul métier. Allez-y  voir dans d’autres pays : avant de quitter la terre, il y a des gens qui exercent quatre, cinq, six métiers.»

– « Moi je connais un ami suédois qui est médecin. Il a été environnementaliste. Actuellement, il s’amuse à vouloir être mécanicien. Il ne veut pas rester dans la monotonie. Il faut toujours bouger, s’investir dans d’autres choses.».

– « Celui avec qui je travaille à Bamako sur le maraichage, c’est un architecte à la base. Tous les grands monuments à Bamako sont ses œuvres, mais il s’est investi aussi dans le maraichage. Je vis dans un milieu où on ne fait pas qu’une seule chose ».

– «Il faut briser cette chaine dans laquelle ceux qui profitent le plus sont ceux qui sont au bout de la chaine. Ceux-là viennent acheter à bas prix pour venir tirer tout le bénéfice avec le consommateur. Il faut aussi que les paysans prennent conscience de cette exploitation. Ils peuvent, s’ils sont organisés, venir occuper le marché directement. Ce sont des combats que les producteurs de cacao au Ghana et en Côte d’ivoire mènent. Le credo c’est : « Nous voulons transformer les choses ici ou, alors, achetez les ici pour que nous-mêmes, nous en définissions le prix!». Et c’est ainsi qu’ils gagneront mieux. Tant qu’il y a mille intermédiaires, le paysan sera toujours le paysan, celui qui sera toujours exploité. Cette chaine-là, il faut la briser !»

S. Z.