Pr Idrissa OUEDRAOGO, économiste : « Si la jeunesse se sent paupérisée et marginalisée, elle peut constituer une puissante énergie déstabilisatrice »

Depuis sa prestation de serment ce 28 décembre 2020, le Président réélu, Roch Marc Christian KABORE entame officiellement un deuxième mandat dont les défis en matière d’économie sont énormes. Réformes à opérer, conséquences du terrorisme et de la COVID-19 à gérer, avenir de la monnaie ECO, chômages et flambée des prix à juguler : Le consultant de ACTUALITE.BF pour les questions économiques, Pr Idrissa OUEDRAOGO, décrypte tous ces enjeux.

Titulaire d’un Ph.D. en économie (Université de Knoxville Tennessee, USA), d’un Doctorat de troisième cycle en économie monétaire et budgétaire de l’Université de Clermont Ferrand en France et agrégé des Facultés de Sciences Economiques, Pr Idrissa Mohamed OUEDRAOGO  est le Directeur de l’Ecole Doctorale de l’Université Aube Nouvelle (U-AUBEN) et Président du comité directorial de centre Formation, Orientation et Recherche pour la Gouvernance Economique (FORGE-Afrique).

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Lire le résumé de sa biographie en encadré, à la fin de l’interview

ACTUALITE.BF : Professeur, quels sont, selon vous, les chantiers économiques sur lesquels le Président réélu doit urgemment travailler ?

Idrissa Mohamed OUEDRAOGO (I.M.O.) : Les chantiers urgents sont nombreux et immenses tant il est vrai que tout est prioritaire dans notre pays. Mais en dépit de de ces considérations générales, on conviendra de retenir que le Président qui a été élu et qui vient de prêter serment, est à son deuxième mandat. Cela lui donne plus de latitude pour conduire une politique économique plus porteuse de croissance et plus inclusive, puisqu’il n’est plus contraint par un souci de réélection. Il pourrait de ce fait, entreprendre des mesures à fort contenu de transformation structurelle.

Ce type d’actions génère des fruits sur des périodes qui vont généralement au-delà du terme d’un mandat. Mais les impacts sont plus bénéfiques pour l’économie et sont plus durables. Dans une telle perspective, je pense que les nouvelles autorités doivent s’atteler à une modification profonde de notre économie à travers des investissements massifs dans les secteurs primaire et secondaire, de sorte à améliorer la productivité dans le secteur primaire et à développer le tissu industriel du pays.

Mais, il est bien évident que de telles actions ne peuvent se conduire dans un climat social délétère et d’insécurité. Ces actions ne réussiront pas non plus, dans un monde où la mauvaise gouvernance et la corruption sont de mise. C’est en cela qu’il semble essentiel que tout soit mis en œuvre pour assainir l’environnement sécuritaire et social et que la lutte contre la corruption soit édictée comme l’une des principales priorités.   

ACTUALITE.BF : Le PNDES a été diversement apprécié. Pensez-vous que ce quinquennat apportera avec lui un nouveau référentiel et une vision nouvelle ?

I.M.O. : Oui, c’est vrai que le PNDES n’a pas rempli ses promesses ; il n’a pas engrangé les résultats escomptés. Contrairement aux allégations officielles, l’économie burkinabè est aujourd’hui exsangue et donne l’impression que les pilotes naviguent à vue. Le développement du Burkina Faso n’est pas assis sur un socle solide et durable. Notre pays est fortement dépendant de plusieurs facteurs de risques, tels que la situation sécuritaire, les aléas climatiques, des revendications sociales, et de la volatilité des cours de l’or et du coton. Les actes posés par l’exécutif pendant le mandat passé laissent penser que l’on répond aux préoccupations économiques et sociales des agents au jour le jour et par à-coup sans analyse préalable. De fait, j’ai le sentiment que le PNDES n’a pas vraiment été exécuté.

Ce plan était prévu pour être exécuté sur cinq ans. Nous sommes au terme de ces cinq ans. Il y a donc nécessité de le relire et même de le remplacer par un nouveau référentiel avec une nouvelle vision ; une vraie cette fois-ci car, je n’ai pas réellement vu la vision dans le plan passé. 

ACTUALITE.BF : Malgré la crise sécuritaire et la pandémie de Coronavirus, notre économie tient tant bien que mal. Qu’est-ce qui explique cette résilience ?

I.M.O . : J’ai plutôt une vision différente. L’économie ne se porte pas si bien que l’on veut le faire croire. Voyez-vous, la crise sécuritaire doublée des effets du COVID-19 ont totalement affaibli notre économie au point que l’on a pensé à un moment donné que le Burkina va expérimenter une période de récession cette année avec un taux de croissance négatif du PIB. En effet, comme vous le savez déjà, la pandémie à coronavirus a poussé les pouvoirs publics de notre pays à prendre des mesures fortes de confinement et de restriction de la mobilité pour tenter d’enrayer la propagation du virus. Ces mesures ont conduit à un fort ralentissement de l’activité économique par le truchement d’un choc à la fois d’offre et de demande. Les prévisions faites dernièrement tant par l’Etat que la BECAO prévoient pour 2020, un taux de croissance du PIB de 1,5% contre 5,7% en 2019.

Retenons que la résilience économique au choc exogènes (la COVID-19 pour ce qui nous occupe ici) c’est la capacité du Burkina Faso à maintenir son niveau de production proche de son potentiel malgré ce choc. La résilience comprend au moins deux dimensions : le degré d’atténuation des chocs et la vitesse à laquelle l’économie retourne à la situation normale après le choc. Dans le cas de notre pays, nous dirons que le choc a été difficilement contenu et que rien ne nous indique que nous retrouverons dans les mois ou années à venir, les niveaux de croissance des années antérieures.

ACTUALITE.BF : Pour une économie d’avenir, quelles sont les réformes que les autorités Burkinabè devraient opérer ?

Depuis leur accession à l’indépendance dans les années 60, la plupart des pays Africains ont conçu et mis en œuvre différentes stratégies de développement qui, à ce jour, tardent à produire les résultats escomptés, c’est-à-dire, la prospérité économique et sociale.

A regarder les performances économiques de ces pays, il importe de noter que soixante ans après leurs indépendances, les pays africains restent parmi les plus pauvre du monde.  Ainsi, plus d’un demi-siècle après la prise de l’autonomie, l’Afrique, y compris le Burkina Faso, fait face aux mêmes problèmes de développement qu’en 1960.

Au regard de ces performances, très peu reluisantes, il parait opportun de poser regard prospectif sur les stratégies à adopter pour un meilleur avenir du continent. Pour ce faire, il est nécessaire de s’interroger sur la nature du développement à mettre en place en Afrique et quels sont les acteurs à solliciter.

En fait, il faut plutôt penser à une stratégie globale de développement qui émane d’une vision de développement que l’autorité s’est fixé et vers laquelle elle souhaiterait que le Burkina Faso tende. Le développement est une démarche holistique dont la finalité est l’homme qui doit être au centre du processus. Pour s’assurer un développement durable, il est essentiel de se fixer des objectifs précis dans des secteurs bien identifiés que l’on mettrait tout en œuvre pour réaliser dans un délai donné. Les politiques structurelles sont susceptibles de donner de tels résultats. C’est pour cela que je suggèrerais comme je l’ai fait plus haut, que les autorités s’attellent à mettre en œuvre une politique de transformation structurelle.

ACTUALITE.BF : Le chômage des jeunes pourrait prendre de l’ampleur les années à venir. Comment désamorcer cette bombe à retardement ?

I C’est vrai que le chômage des jeunes peut constituer une bombe à retardement. Mais en vérité, la jeunesse peut constituer une opportunité pour le développement tout comme elle peut être une menace et un frein à ce processus.

Quand on regarde les données sur le chômage et la pauvreté en Afrique et au Burkina Faso en particulier, on est tout de suite frappé par la fragilité de la jeunesse du fait qu’elle est la principale cible de ces phénomènes. Les données révèlent qu’au Burkina Faso, le chômage est essentiellement urbain, juvénile et féminin. Le taux de chômage est de 8,5% en milieu urbain ; il est de 13,2% pour les jeunes urbains 82% des chômeurs sont des jeunes dont 43% ont moins de 25 ans. Environ 54% des chômeurs sont des femmes. De plus, les plus instruits sont les plus touchés.

A regarder ces chiffres on est en droit de s’interroger sur les effets qu’une telle situation pourrait engendre s’il elle arrivait à perdurer. Cette interrogation est légitime si l’on observe les évolution politique des pays africains ces dernières années, ou la jeunesse a souvent pris les devants pour impulser des mouvements sociaux qui, dans bon nombre de cas ont engendré des chutes de régimes. 

Si la jeunesse se sent paupérisée et marginalisée, elle peut constituer une puissante énergie déstabilisatrice, entraînant des conflits et des mouvements sociaux difficilement contrôlables. Liée à des facteurs inhérents aux régimes politiques en place, comme la mauvaise gestion, la corruption et le népotisme, la montée des frustrations des jeunes a fortement contribué à l’explosion du « printemps arabe » au Maghreb, à l’insurrection au Burkina Faso et au changement de régime plus ou moins pacifique au Sénégal.

Dans le cas spécifique du Burkina, il est important de noter que le chômage, la pauvreté, la mauvaise gouvernance économiques, la misère et les conditions de vie précaires expliquent en grande partie la fougue et la hargne des insurgés des 30 et 31 octobre 2014.

L’un des levains de la révolte que notre pays a connu en octobre 2014 et qui, très certainement explique grandement la détermination de la population dans la lutte qui s’est menée, est sans conteste la pauvreté endémique qui sévit dans notre pays.

ACTUALITE.BF : Le terrorisme crée forcément une économie parallèle. Comment cette économie joue-t-elle sur l’économie nationale, et comment minimiser les dégâts ?

C’est vrai que la persistance de l’insécurité et la prolifération de groupes terroristes dans notre pays génèrent le développement d’une économie parallèle très souvent liée à la grande criminalité. Le terrorisme est souvent lié au trafic de tout genre et au pillage d’importantes ressources du pays telles que l’or dans les zones de l’Est du Burkina Faso ; ils font des razzias sur les récoltes et le bétail des populations vivant dans l’emprise de leur zones d’action… De fait, les activités parallèles menées par les terroristes engendrent d’importants revenus qui, très souvent constituent des manques à gagner pour les Etats.  

Que faire pour minimiser les dégâts ? Cette question appelle la question plus générale du comment lutter contre le terrorisme et l’insécurité. Sans minimiser l’apport des autres approches de lutte contre l’insécurité, je proposerais celle que l’économie suggère et qui doit être comprise comme un complément aux autres solutions.

L’insécurité émane en grande partie de la situation de pauvreté et de misère des populations. La réflexion devra donc s’orienter sur les moyens à mettre en œuvre pour satisfaire les besoins de ces populations. En plus des mesures de répression par la force publique et des programmes de transformation structurelle, il convient de mettre en œuvre des plans et programmes de relance économique qui mettent l’accent sur les populations des zones démunies et fragilisées du fait de l’insécurité.

Il conviendra de mettre en œuvre des mécanismes de redistribution du revenu qui soient plus inclusifs (accès à l’éducation, à la santé, assistance sociale). Les pays devront adopter des actions qui tendront à réduire le coût d’opportunité des actes criminels pour les jeunes. Cela suppose que ces jeunes bénéficient d’une formation scolaire qui les structure et modèle leur esprit critique ; que ces jeunes soient occupés par des activités qui les absorbent et qu’ils soient mis en contact avec des symboles qui les motivent.

ACTUALITE.BF : Après des débats et des annonces, la nouvelle monnaie ECO n’a pas encore vu le jour. Croyez-vous que cette monnaie va impacter véritablement la marche de l’économie de la zone UEMOA ?

Il est bien évident que de nombreuses personnes dans la zone UEMOA attendent avec impatience la mise en place effective de l’ECO dans l’espoir que cette monnaie aidera à relancer nos économies et par la suite, à améliorer le bien-être des agents. Cela est légitime surtout face aux critiques que le Franc CFA essuie couramment.

Les économistes s’accordent à dire que pour réussir un développement économique harmonieux et soutenu il convient de jouir de la plénitude de son autonomie monétaire. Un pays qui n’a pas le plein contrôle de ce volet de sa souveraineté aura toutes les difficultés à assurer son développement. De ce point de vue, on peut légitimement penser que l’opérationnalisation de l’ECO aura des effets positifs sur les économies des pays de l’UEMOA. Pour qu’une monnaie soit forte et contribue au développement, il faut qu’elle soit adossée sur une économie bien gérée, à croissance forte et durable. Il faut aussi et surtout qu’elle ait une autonomie de gestion.

Retenons aussi que les Etats de l’UEMOA pris ensemble constituent sans conteste une économie forte. Vous avez huit Etats qui couvrent une superficie de 3 506 126 km2 et comptent plus de 100 millions d’habitants avec de fortes potentialités. Ceci pour dire que sur le plan économique, l’UEMOA a tous les atouts pour se prendre en charge le mieux possible. Mais pour assurer une croissance durable dans ces pays, il faudra que les gouvernants y croient et qu’ils aient la volonté politique pour le faire. C’est peut-être ce qui manque à la région.

Mais il ne faut pas oublier qu’au départ, la création de l’ECO concerne beaucoup plus la CEDEAO, c’est-à-dire un espace beaucoup plus vaste et encore plus viable que l’UEMOA. Les conditions initialement retenues dans le cadre de ce projet me semblent très viables et pourraient avoir des effets favorables sur les économies de la région.

Interview réalisée par Charles ILBOUDO

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Résumé de la biographie du Professeur Idriassa OUEDRAOGO

Titulaire d’un Ph.D. en économie (Université de Knoxville Tennessee, USA), d’un Doctorat de troisième cycle en économie monétaire et budgétaire de l’Université de Clermont Ferrand en France et agrégé des Facultés de Sciences Economiques, Pr Idrissa Mohamed Ouédraogo  est le Directeur de l’Ecole Doctorale de l’Université Aube Nouvelle (U-AUBEN) et Président du comité directorial de centre Formation, Orientation et Recherche pour la Gouvernance Economique (FORGE-Afrique).

Entre 2009 et 2013, Monsieur Ouédraogo a dirigé la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de l’Université Ouaga II où il enseigne depuis 1986. Il a aussi dirigé le Centre d’Etudes, de Documentation, de Recherche économiques et sociales (CEDRES) et du Laboratoire d’Analyse et de Politique Economiques (LAPE). Monsieur Ouédraogo a été le premier Directeur de la Maîtrise d’ouvrage de Ziga, Il a aussi dirigé le Projet d’appui au Renforcement de la Gouvernance Economique (PRGE). En 2011, le Professeur Ouédraogo a développé et mis en œuvre le Master de Macroéconomie Appliquée et Finance Internationale (MAFI), un programme de formation qui aujourd’hui, attire de nombreux candidats des pays de la sous régions. Entre 2010 et 2011, le Professeur Ouédraogo à participer à la mise en place du Fonds vert climat en tant que membre du comité transitoire pour l’élaboration dudit fonds au titre du groupe africain.

Dans ce cadre, ses activités de recherche l’ont conduit à s’intéresser à la recherche des facteurs qui déterminent la croissance et le développement des pays en développement, aux questions de la pauvreté et de l’emploi et particulièrement aux stratégies de survie des populations pauvres. Ses travaux portent sur le poids et le rôle de l’intermédiation financière et bancaire dans le processus de développement, sur le rôle du secteur informel dans le développement, sur l’économie de l’énergie et sur les questions de la gouvernance économique.

Le professeur Ouédraogo a conduit de nombreuses études et des missions d’évaluation pour le compte d’organisations et institutions nationales et internationales. Au-delà de ces différentes activités Monsieur Ouédraogo a conçu et animé plusieurs séminaires et ateliers de formation sur des thématiques différentes dont notamment la gouvernance économique.