Pr Abdoulaye SOMA : « Nous avons réuni les ingrédients pour contracter le virus du troisième mandat.»

Il n’est plus à présenter. Universitaire, professeur agrégé de Droit public, il s’est engagé ces dernières années en politique avec la création de son parti, le “Soleil d’Avenir”, sous la bannière duquel il a pris part aux élections présidentielle et législatives du 22 novembre 2020. Lui, c’est le Professeur Abdoulaye SOMA. Nous lui avons tendu notre micro le 20 décembre dernier, pour évoquer les sujets de l’heure. Bilan des élections, actualité de l’opposition non affiliée (ONA), son avenir politique, le passage à la cinquième république et la périlleuse question des troisièmes mandats. Le professeur Abdoulaye Soma se livre à cœur ouvert aux lecteurs d’ACTUALITE.BF.

ACTUALITE.BF (A.BF) : le conseil constitutionnel a entériné les résultats des élections du 31 octobre dernier, quelle est votre appréciation et quel bilan pouvez-vous tirer de ces élections ?

Abdoulaye SOMA (AS) : Je constate que le processus électoral de 2020 est terminé officiellement, puisque les résultats provisoires ont été publiés et il n’y a pas de contentieux pour l’élection présidentielle, même s’il y a eu deux contentieux par rapport aux élections législatives. Le Conseil constitutionnel a proclamé les résultats définitifs avec quelques ajustements,  mais la structure d’ensemble reste la même. Le MPP gagne les élections et le candidat KABORE est Président de la république.

Mes équipes techniques et plusieurs observateurs nationaux et internationaux ont constaté diverses irrégularités par rapport à ce scrutin. Si on devrait réagir conformément à ces irrégularités et à ces fraudes, il aurait pu y avoir des grabuges dans le pays. Je viens d’engager ma carrière politique et je suis en mesure d’assumer cette sagesse de ne pas m’associer à des démarches belliqueuses. Je n’ai pas de tempérament belliqueux. Je vais, pour une première et une dernière fois, vivre avec ce qui m’a semblé être un désastre électoral. J’ai accepté ces résultats. Je valide le processus avec les rappels que j’ai déjà faits. Le processus n’est pas propre, il n’a pas été transparent, il n’a pas été honnête, il y a eu plein d’irrégularités. Mais, pour tenir compte de l’intérêt de notre nation, de la stabilité, de la sécurité, de la paix sociale, j’ai décidé personnellement, de concert avec mon parti, de ne pas faire de recours.

A.BF: Vous avez obtenu plus de 40000 voix, soit 1,55% du suffrage. Certaines personnes pensent que c’est encourageant, vu que c’est votre première participation à une élection.  D’autres, par contre, voient ce score comme un échec par rapport à vos ambitions affichées, et surtout au regard du bagage intellectuel que vous drainez. Quelle appréciation faites-vous de votre propre score?

AS: Je suis d’accord avec les deux tendances. Je suis d’accord avec la deuxième tendance de l’opinion publique qui pense que c’est un échec, car moi-même j’ai déjà dit que je ne suis pas satisfait de mes résultats. Mon ambition, ma volonté et mon objectif, en partant à ces élections, étaient de gagner et de devenir Président de la République. Au regard des résultats, je ne suis pas Président de la République. Je n’ai donc pas atteint les objectifs que je m’étais fixés personnellement, que mon parti s’était fixés en s’engageant à ces élections ; ce qui est un échec. Je le dis et je l’assume. Mais les échecs dans la vie, ce n’est pas ce qu’il y a de plus grave, c’est succomber à l’échec qui est le plus grave. Le parti a fait le bilan. Nous n’avons pas succombé à la défaite. Nous avons perdu une bataille, mais pas la guerre, la guerre étant la Présidence de la République. Pour nous, que nous soyons Président de la République en 2020, 2025 ou 2030, c’est ça la guerre, parce que cet objectif est encore affiché.

Je suis aussi d’accord avec ceux qui disent que c’est une victoire. Beaucoup de personnes qui ne sont pas du “Soleil d’Avenir” et, parfois, qui ne s’intéressent même pas à la politique, m’ont appelé pour me féliciter. Je suis d’accord avec eux, car il faut remarquer que le “Soleil d’Avenir” est un parti jeune qui a un an et demi. Dans l’histoire du Burkina Faso, un parti qui a un an et demi avec une telle réputation, il n’y en a pas eu beaucoup. Le parti a pu capitaliser la réputation de son président que je suis, Professeur Abdoulaye Soma, avec sa réputation de directeur, de jeune  qui a réussi un certain nombre de choses. Le parti est d’ailleurs l’un des plus médiatisés au Burkina Faso.

Ça c’était une première victoire. Une deuxième victoire, c’est le fait qu’un parti qui est créé il y a un an et demi, participe à deux élections (présidentielle et législatives). Ce n’est pas ordinaire. Il y a des partis qui existent depuis 20 ans qui n’ont jamais participé à pareilles élections. Troisièmement, à une première participation aux élections présidentielles, le fait d’arriver à dépasser largement la barre des 1%, ce n’est pas commun. On m’a fait remarquer qu’en 2015, des partis, après trois participations à des élections, n’ont jamais pu franchir cette barre symbolique de 1% aux élections présidentielles. Comme vous l’avez aussi rappelé, le “Soleil d’Avenir” a eu plus de 40000 voix à l’élection présidentielle à travers tout le pays, ce qui n’est pas ordinaire pour un nouveau parti politique. Ce sont des indices qui nous encouragent à persévérer dans la lutte. Le parti a pu avoir des voix dans toutes les communes du Burkina Faso. Partout où il y a eu vote, le parti a eu des voix. Cela est une autre victoire qui démontre l’implantation et l’envergure nationales du parti, et cela me tenait à cœur.

Quand vous regardez bien, 40000 personnes nous ont votés sans distribution d’argent ni achat de conscience. Au “Soleil d’Avenir”, nous avons décidé de ne pas procéder à l’achat des cartes d’électeurs et à la corruption électorale. Nous avons décidé de faire nouvellement et autrement la politique, avec notamment des nouvelles méthodes comme la campagne de proximité, et de ne pas faire de grands meetings. Tous ceux qui nous ont votés sont ceux qui ont regardé la télé, écouté la radio, vu les images. Ils ont été convaincus simplement et pas achetés. Ça donne de l’espoir pour le Burkina Faso. Ça veut dire que vous pouvez trouver plus de 40000 personnes qui veulent changer le Burkina Faso, qui veulent révolutionner le Burkina Faso et changer sa classe politique. C’est le message que porte le “Soleil d’Avenir” : la fondation d’une nouvelle génération politique au Burkina Faso, dont je suis le leader.  Je suis l’emblème de ce renouveau. C’est le message que je capte de ces élections qui me permet de continuer à travailler.

A.BF: en vous écoutant, on sent que vous êtes enthousiasmé par votre méthode de travail, et que vous êtes convaincu que cette méthode peut vous aider à conquérir le pouvoir. Mais si il y avait quelque chose à corriger dans cette méthode, ce serait quoi ?

AS: Je pense que la stratégie est bonne. Nous avons fini notre bilan interne et nous avons décidé de garder la campagne de proximité ainsi que la stratégie de non-achat des consciences. Mais nous avons constaté des failles au niveau de notre stratégie de financement. Ce sont des faits que j’assume en tant que premier responsable du parti. Parce que même la stratégie de campagne implique un certain niveau de financement. C’est ce niveau de financement que nous n’avons pas pu avoir : financement en moyens de communication, en moyens de contact, en moyens de déplacement. Ce sont évidemment des axes sur lesquels nous allons travailler sérieusement pour les prochaines échéances.

A.BF: En juin dernier, vous avez lancé, avec d’autres chefs de partis politiques, l’Opposition Non Affiliée (ONA). Que devient l’ONA ?

AS: L’ONA a été portée sur les fonts baptismaux en Avril. On a fait la première déclaration portant l’existence d’une opposition non affiliée le 26 Avril. Au Burkina Faso il y a une régulation qui permet l’existence de la majorité (APMP), de l’opposition affiliée au CFOP et aussi l’opposition non affiliée au CFOP. Et c’est dans le cadre de cette opposition non affiliée que nous avons souhaité porter et intégrer comme acteur politique au Burkina Faso. C’est une catégorie qui existe tant que la loi n’a pas changé. Je crois que les gens n’avaient pas compris, mais au fur et à mesure des vérifications, ils ont compris l’analyse de l’ONA. La sagesse, c’est aussi, lorsque quelqu’un invoque des dispositions, d’aller vérifier. Et il y en a qui ont eu cette démarche de sagesse. Ils sont allés vérifier les textes et ils nous ont donné raison. L’ONA va toujours exister pour boucher les trous d’évaporation du CFOP. L’ONA est déjà connu et reconnu par plusieurs acteurs politiques, même s’il y a un certain nombre d’acteurs, dont le Chef de l’État et le ministre d’État en charge des partis politiques, qui sont encore réticents à suivre les analyses de l’ONA. Mais nous nous fondons sur des textes de la République, et si quelqu’un a besoin de discuter, nous pouvons nous porter auprès de la personne pour nous entretenir sur le bien-fondé de ce que nous faisons.

A.BF: On voit que vous parlez beaucoup d’acteurs politiques. On est au lendemain des élections, avec des tractations et des alliances pour constituer l’Opposition et la Majorité. Quelle sera votre position, et quel avenir qu’entrevoyez-vous dans cette jungle politique?

AS: Mon objectif politique, c’est de devenir Président de la République.  Tout ce que je vais faire, c’est pour me permettre d’atteindre cet objectif. Moi Président de la République, le Burkina Faso s’en porterais mieux parce que je suis resté pur, je suis resté honnête, je suis resté intègre, et j’ai les méthodes républicaines avec lesquelles je suis en mesure d’exercer correctement le pouvoir pour le bonheur du peuple burkinabè. Si, entre temps, il y a des décisions qu’il faut que je prenne pour m’ouvrir des voies d’accès à la Présidence du Faso, je prendrais ces dispositions. Mais, comme vous le savez, en politique les choses sont mouvantes. Vous constaterez ma ligne de conduite : c’est une ligne d’intégrité, de clarté et de transparence. Quand je prendrai une décision, je m’expliquerai devant le peuple. Pour l’instant, je n’ai pas été consulté. Je reste dans la position que j’occupe. Je suis le président du “Soleil d’Avenir”, je suis président de la conférence des partis membres de l’ONA. Voici mon statut politique actuel.

A.BF: Etes-vous prêt à piétiner certains de vos principes énumérés, si vous êtes appelé à occuper de hautes fonctions qui pourront vous « ouvrir des portes » comme vous l’avez dit ?

AS: Non ! Il faut bien une compatibilité entre les portes et mes principes. Mes principes sont ce que j’ai communiqué et c’est ce qui fixe mon action. Évidemment, je ferai l’objet de plusieurs propositions et il se peut que je refuse ou que j’accepte des propositions en fonction de leur compatibilité avec mon objectif principal que je ne dois pas perdre de vue, à savoir, être Président de la République. J’aviserai si je suis sollicité pour être dans un Gouvernement, parce que ça dépend de beaucoup de paramètres. Ça dépend des raisons, des résultats demandés, du portefeuille, etc. Je n’avais pas encore créé mon parti quand j’ai été appelé dans des instances gouvernementales de la Transition. J’ai évalué et j’y suis allé, parce qu’on voulait des gens pour reconstruire le Burkina Faso et on avait besoin de compétences diverses pour redresser la République. On m’a dit que j’avais les compétences pour redresser une partie de la République parce j’avais des compétences en matière constitutionnelle et en matière de droit international. Dans un tel schéma, vous y allez parce que c’est la technique qui est demandée, et ce n’est pas un marchandage politique qui est en jeu. La Transition était un régime qui n’avait pas de coloration politique, et j’ai participé à la Transition du début à la fin. C’est pour vous dire que je ne peux pas avoir de réponse systématique aujourd’hui parce que j’ai fini ces élections sans rancœur. Je pense que j’ai encore mon avenir politique intact et que je n’ai pas de problème avec un quelconque acteur politique. Mes ambitions politiques ne sont pas détruites. Mes résultats n’étaient pas satisfaisants mais ils n’étaient pas honteux. Je suis donc à l’aise de continuer mon action dans le sens qui me convient le mieux, et d’apprécier les différentes offres en toute tranquillité, en toute aisance, en toute paix, et de prendre les décisions qui conviennent. Parce que je ne suis pas stressé par une réussite politique ou un poste dans un gouvernement. Je ne suis ni stressé ni pressé. Je suis à l’aise parce qu’aujourd’hui, je vis avec la politique ; parce que je suis un homme politique maintenant. Mais je vis aussi sans la politique, parce que je suis un professionnel, je suis un consultant, je vends mon savoir et je vis de ça.

A.BF: Vous avez tantôt évoqué la Transition. On sait que vous êtes un éminent constitutionnaliste qui a notamment participé à la rédaction de la Charte de la Transition. Quel est votre avis d’expert sur le possible passage à la cinquième République ?

AS: Je pense qu’il n’y a pas tellement de discussion sur le passage à la cinquième République, puisque c’est déjà annoncé, et la Constitution est déjà préparée. J’étais même de la Commission constitutionnelle, je sais que la Constitution n’était pas parfaite – loin s’en faut – , elle n’est même pas trop différente de la Constitution de la quatrième république qu’on critique sur le plan technique. Donc, j’ai des critiques à adresser à cette Constitution sur le plan technique. Le contexte aussi, c’est qu’on risque d’adopter cette Constitution comme le président l’a dit, dans la foulée de la première année de son second mandat. Maintenant, on s’en remettra à la bonne foi des acteurs. Aujourd’hui, on est atteint par un nouveau virus qui est celui du troisième mandat, que ce soit en Côte d’Ivoire, en Guinée ou ailleurs. Évidemment, nous avons réuni les ingrédients pour contracter ce virus. Ils diront que les compteurs sont remis à zéro. Il  y en a qui seront pour, d’autres contre, ça ne sera plus une question technique mais une question de rapport de force politique. Et, parfois, les gens se trompent sur les rapports de force. Vous voyez, en 2014, le CDP s’était royalement trompé, parce qu’il gouvernait un pays depuis près de 30 ans avec un grand enracinement et de grands moyens financiers, humains, logistiques et techniques, mais le peuple désarmé à mains nues a pu gagner dans ce rapport de force. Moi j’appellerai quand même le camp présidentiel à beaucoup plus de prudence et beaucoup plus de sagesse dans la conduite des opérations d’entrée à la cinquième République et les opérations de sortie du Président KABORE de ses mandats, parce que je pense que le troisième mandat n’est pas une bonne option. Ce n’est pas sage de décider de briguer un troisième mandat de sa part, et moi j’aviserai donc en fonction de la dynamique de la position qui se dégage mais ma ligne de conduite serait l’enracinement de la démocratie au Burkina Faso et l’intérêt du Burkina Faso.

A.BF: Vous êtes opposé à un éventuel troisième mandat. Mais, techniquement, est-ce qu’il y a des paramètres qui peuvent permettre au camp présidentiel d’avoir des velléités de troisième mandat ?

AS: Oui ! Comme je l’ai déjà souligné, puisque la nouvelle constitution va être adoptée en 2021, je suppose. Et si on passe en cinquième République, le raisonnement peut consister à dire que les mandats passés sous la quatrième République ne comptent plus, et que ce sont les mandats passés sous la cinquième République qui comptent. Dans ce cas, on dira qu’y a un seul mandat sous la cinquième République, et que, comme la Constitution parle de deux mandats, le Président sortant aurait le droit de compléter le deuxième mandat. C’est ce qui amène un troisième mandat. C’est pour ça que je dis que les ingrédients sont réunis. J’appelle à la sagesse des gens, je les invite à ne pas appeler à un troisième mandat parce que tout le monde sait l’esprit de nos dispositions constitutionnelles, qu’elles soient de la quatrième ou de la cinquième République. C’est que, quelqu’un, dans sa vie ne fasse en maximum que deux mandats de cinq ans à la tête de l’État. Quand on va être dans des artifices techniques défendables ou indéfendables avec des partisans et des opposants, il faut qu’on se rende compte qu’on n’est pas dans l’esprit du pur respect de la démocratie.

Parfois il y a la lettre et il y a l’esprit de la Constitution ou des institutions prévues. Montesquieu a écrit un ouvrage intitulé “l’esprit des lois”. « Les lois ont un corps et un esprit», il y a l’écriture et il y a la volonté et le but qui est recherché. Le  but qui est recherché derrière les dispositions de limitation des mandats présidentielles, c’est simplement qu’il y ait de l’alternance, de la circulation, des changements de personnages à la tête de l’État après deux mandats maximum.

A.BF: Auriez-vous un dernier message à l’endroit des Burkinabè, particulièrement ceux qui ont porté leur choix sur vous ?

AS: Je voudrais terminer en remerciant les électeurs et les citoyens burkinabè d’avoir exprimé leur volonté de changement, car 40000 voix, pour quelqu’un qui propose une révolution politique c’est quand même oser. Ce qui veut dire que le peuple veut le changement. Je remercie les citoyens dans leur ensemble d’avoir fait cette option, cette démonstration. Je félicite le peuple pour avoir voté le “Soleil d’Avenir”, car 40000 voix pour une ligne politique nouvelle et un personnage politique complètement nouveau, pour des idées et un programme politique complètement nouveaux, c’est du gaillard. Vous avez fait grand, et je vous en félicite. On va continuer sur cette base de clarté et d’intégrité, et on se donne rendez-vous pour les prochaines échéances, parce que je continuerai à porter la ligne que vous défendez, la ligne que vous voulez, le personnage et le profil politique que vous voulez. Je continuerai à être cet espoir pour le Burkina Faso jusqu’au bout du rêve, comme le slogan du “Soleil d’Avenir”.

Interview réalisée par Nabi BAYALA