NANA Thibaut : “je ne condamnerai plus une quelconque cherté de la vie au Burkina”

C’est une figure emblématique de l’activisme au Burkina Faso. Il s’était fait remarquer lors des émeutes contre la vie chère en 2008. Meneur des manifestations, arrêté puis emprisonné, NANA Thibaut avait fait parler de lui à l’époque. Après sa libération, l’homme s’est beaucoup rapproché de son présumé bourreau, le président Blaise COMPAORÉ. Il va jusqu’à sillonner le territoire national pour prôner son retour au pays après l’Insurrection populaire. Absent de la scène politique depuis un bout de temps, le très remuant NANA Thibaut se signale ces derniers temps en faveur de la réconciliation nationale. Pour évoquer cette réconciliation et parler de son parcours, ACTUALITE.BF a tendu son micro à cet intrépide personnage.

Actualite.bf (ABF) : Qu’est-ce qui peut expliquer ce long silence de NANA Thibaut dans le paysage politico-médiatique, et que devient-il?

NANA Thibaut (NT): L’habit ne fait pas le moine. Il ne s’agit pas, à chaque fois, d’aller pointer son nez devant les caméras pour dire que tu existes. Je ne parle pas dans le vide; je ne fais pas du populisme. S’il n’y a pas une situation où je peux apporter ma contribution, je m’affiche rarement dans les médias, et les gens pensent que je me suis caché.

ABF : Vous aviez fondé un parti politique entre temps. Que devient ce parti?

NT : Effectivement, j’avais créé mon parti, qui avait les mêmes initiales que la Révolution Démocratique et Populaire de Thomas SANKARA, le RDP, mais pour moi, c’était le Rassemblement Démocratique et Populaire. Je l’ai créé à l’époque pour faire une continuité des idées de Thomas SANKARA. Mais avec le manque de moyens, nous n’avons pas pu avoir les éléments nécessaires pour concurrencer les autres partis soutenus par des hommes d’affaires ou d’anciennes autorités. Nous, nous sommes des orphelins politiques. Nous étions obligés de faire avec les moyens de bord. C’est à ce titre que le ministère de l’Administration territoriale a demandé à un moment donné que tout parti politique qui n’était pas à jour de ses règlements intérieurs et statuts, fut suspendu. Ça a été un ouf de soulagement pour moi, car on ne crée pas un parti politique pour juste avoir des financements mais pour apporter ses idées. Je l’avais fait pour apporter ma contribution à l’amélioration des conditions de vie de la population. Vous n’ignorez pas qu’à chaque fois quand il y avait un mouvement tendu au Burkina, NANA Thibaut était de la partie, et cela, depuis les mouvements contre la vie chère en 2008. C’est vraiment par manque de moyens que mon parti a été suspendu. Et même si les autorités ne l’avaient pas fait, j’allais arrêter mes activités un temps soit peu, pour reprendre au moment où j’aurais les moyens.

A BF : Vous avez parlé de votre combat contre la vie chère en 2008. Actuellement, on assiste à la flambée des prix des hydrocarbures. Quelle lecture en faites-vous?

NT : Au Burkina, il y a des voleurs d’idées, qui, en plus, sont des incapables. En 2008, j’ai créé une situation inédite dans l’histoire du Burkina Faso, avec l’initiative de la «ville morte», pour protester contre la vie chère. Ça a été une réussite, si bien que le pouvoir avait paniqué et avait vite fait de baisser le prix des denrées de première nécessité. Vous avez tous suivi cela. Suite à cette lutte, j’ai été arrêté et condamné à trois ans de prison ferme, mais personne n’est sorti pour demander ma libération comme cela se faisait partout ailleurs. J’ai été en prison tout seul, avec quelques jeunes innocents qui étaient sortis pour chercher à manger. D’autres même portaient des récipients vitrés et vendaient leurs gâteaux quand ils ont été arrêtés. On a ainsi fait une année et deux mois de prison ensemble. Aucun membre d’un parti politique ou de la société civile n’est sorti manifester pour notre libération. Ma lutte avait même pris de l’ampleur pour contaminer la Côte d’Ivoire, le Mali et le Niger. Aujourd’hui, il y a des mouvements contre la vie chère qui se sont créés à partir de mon idée. Si ces gens-là ne peuvent pas dire quelque chose par rapport à ce qui se passe aujourd’hui, moi NANA Thibaut, je ne condamnerai plus une quelconque cherté de la vie au Burkina. Encore que toutes ces personnes sont des lâches. Donc je préfère m’asseoir aussi regarder comme les autres, car il y a la relève. Moi j’ai fait pour moi, et à l’époque, je n’ai pas eu de soutien. On m’a emprisonné, et c’est le même Blaise COMPAORE qui m’a libéré avec une grâce présidentielle.

A BF : Vous parlez de Blaise COMPAORÉ. Avez-vous justement de ses nouvelles ?

NT : Même hier nuit, (l’inverview a eu lieu le 03 avril 2021, NDLR) j’étais en communication avec un de ses proches qui m’a rassuré qu’il se portait très bien avec toute sa famille.

extrait vidéo de l’interview de NANA Tibaut

A BF: Comment voyez vous le retour au pays de l’ancien président?

NT: Juste après l’Insurrection, j’étais le tout premier à demander le retour de Blaise COMPAORÉ au pays, et à prôner le pardon et la réconciliation pour tous. Aujourd’hui encore, l’histoire me donne raison comme en 2008. Que ce soit le pouvoir en place ou le bas peuple, tout le monde réclame la réconciliation aujourd’hui. Le retour de Blaise COMPAORÉ est incontournable pour la réconciliation nationale. Il faut vraiment la présence de tous ceux qui sont hors du Burkina pour des raisons politiques, si on veut la cohésion, à commencer par Blaise COMPAORÉ.

A BF: Que pensez-vous donc de ce processus de réconciliation mené par le gouvernement sous la houlette du ministre d’État Zéphirin DIABRE ?

NT: j’ai été reçu par le ministre Zéphirin DIABRE. On a longuement discuté. D’abord, je suis allé le féliciter pour sa nomination. Je lui ai ensuite dit que j’avais eu le courage de réclamer la réconciliation après l’Insurrection, et que j’avais été incompris. Mais, Dieu faisant bien les choses, le président du Faso Roch Marc Christian KABORÉ a eu cette vision de le nommer pour que les Burkinabè se pardonnent et apprennent à cohabiter. Je rejoins donc l’équipe, parce qu’à l’époque je ne pouvais rien faire, mais j’ai eu quand même l’idée de lever le lièvre. Quand j’ai pu lever le lièvre, voilà maintenant que des gens viennent pour l’abbattre. Je ne vais donc pas rester en marge. Je vais apporter mes petites idées pour cette réconciliation.

ABF : Quel lien entretenez-vous avec l’Opposition politique actuelle incarnée par le CDP ?

NT : Juste après l’Insurrection, j’ai voyagé à Abidjan pour rencontrer le président Blaise COMPAORÉ. A ma première rencontre, il m’a fait savoir que je pouvais aller avec mon parti au CDP. Quand je suis revenu, j’ai adressé une correspondance à Eddie KOMBOIGO. Je n’ai pas eu de suite. Je l’ai fait une deuxième fois; il ne m’a pas répondu. J’ai alors fait le retour à Blaise COMPAORÉ. Je reste donc chez moi et, si le CDP a besoin de moi, il saura quoi faire. Car, quoi qu’on dise, Blaise COMPAORÉ est le président d’honneur de ce parti. Et je ne pense pas qu’on doit le minimiser comme ça, au point qu’il donne des directives et que des gens du CDP l’ignorent. Ça a été un manque de respect à Blaise COMPAORÉ, et comme moi je le respecte, je suis resté chez moi. Si un parti politique, même en dehors du CDP, a besoin de moi, ce parti est le bienvenu. L’essentiel pour moi aujourd’hui, c’est de contribuer à la cohésion sociale et au développement de mon pays.

A BF : avez vous des relations particulières avec le président Roch Marc Christian KABORÉ ?

NT: Si je dis que je n’ai pas de relations avec le président KABORÉ, ce serait une ingratitude de ma part. Avant qu’il ne soit président du Faso, il a été un grand ami au moment où il était président de l’Assemblée nationale. On s’appelait, et il m’a même soutenu moralement et financièrement pour gérer ma famille. Mais, depuis qu’il est devenu président, on ne se voit plus. J’ai même déposé une demande d’audience au niveau de la direction du Protocole d’Etat quand je faisais mes tournées pour demander la réconciliation et le retour de Blaise COMPAORÉ. Après les chefs coutumiers, en 2017, j’ai voulu rencontrer le Président afin de proposer ma stratégie pour le retour de la paix au pays, mais je n’ai jamais eu de retour; c’est resté lettre morte. Qu’à cela ne tienne, même s’il ne me reconnais plus, moi je serai toujours reconnaissant à son endroit, car il m’a sauvé la vie à un moment donné.

Interview réalisée par Nabi Houda BAYALA

ACTUALITE.BF