Lettre ouverte au Président du Faso : “L’Etat doit avoir le courage de demander pardon aux personnes qu’il a brimées”

Dans cette lettre ouverte adressée au Président du Faso Roch Marc Christian Kaboré, l’internaute Wendpouiré Charles Sawadogo dépeint la situation sécuritaire, avant de proposer une solution pour appaiser les coeurs, et tarir le vivier de recrutement des groupes armés.

Excellence Roch Marc Christian Kaboré, Président du Faso,

Permettez-moi, par cette lettre ouverte, de magnifier d’abord votre courage dans cette lourde fonction de faire progresser le pays des hommes intègres. Peut-être que le poste que vous occupez ne vous permet pas d’être sur les réseaux sociaux et de deviner le sujet que je souhaite aborder : le terrorisme au Burkina Faso.

Depuis 2015, nous sommes face à l’hydre terroriste, et ce n’est qu’un secret de polichinelle. Jusqu’à la date du 1er août, le bout du tunnel ne semblait visible que dans un rêve, Excellence. Loin de peindre un tableau apocalyptique, je relate la dure réalité du terrain, malgré les efforts consentis de parts et d’autres.

Jusqu’à quand allons-nous continuer à vivre cette situation ? Pour un petit rappel, dès les premières heures du fléau, le régime précédent était le bouc émissaire. Ensuite, l’argument selon lequel la guerre était nouvelle a été servi. Cependant, 06 années après, le problème persiste. Pourra-t-on convaincre encore un Burkinabè avec les arguments précédents ? J’en doute fort.

Est-ce parce que les hommes mis en place ne sont pas à la hauteur de la tâche ? Difficile pour moi d’affirmer/d’infirmer cela. Mais la réalité sur le terrain n’est pas une pure imagination, mais le quotidien des Burkinabè moyens.

Excellence,

Je vais essayer de vous énumérer certaines réalités que vivent quelques provinces :

  • Au Sahel : Si la province du Soum connait une réelle accalmie, toutes les communes sont administrativement délocalisées, soit à Djibo, soit à Kaya, ou à Dori. Dans le Yagha, les communes de Titabé et de Tankougounadié fonctionnent sans Administration. La dernière n’a plus de CSPS depuis plusieurs mois. Je ne vais pas revenir sur l’histoire douloureuse de Solhan. A Mansila, la population se trouve comme au Moyen Âge. Tout y manque : Nourriture, sécurité, soins,… sauf le sable et le soleil.
  • Au Centre-Nord : dans le Sanmatenga, les communes de Pissila, Barsalogho, Pensa et Dablo n’existent que dans leurs chefs-lieux. Tous les villages sont cantonnés dans les centres de ces communes. Malgré tout, les bourgmestres doivent tenir des sessions, faute de quoi, ils seront frappés par l’article 272 du Code Général des Collectivités Territoriales. Dans le Namentenga, la commune de Tougouri a une réalité similaire à celle des communes du Sanmatenga.
  • Au Nord : Dans le Yatenga, Koumbri n’existe plus. Dans le Loroum, c’est la même réalité.
  • A l’Est : Même scénario dans plusieurs communes du Gourma, de la Tapoa, de la Kompienga et de la Komondjari.

Excellence Monsieur le Président,

Les régions des Cascades et Sud-Ouest ont commencé à montrer des signes. Ce qui veut dire que, géographiquement, le pays est encerclé. Sur le plan humanitaire, des Burkinabè commencent à perdre leur dignité. Ils n’ont pas à manger; ils perdent leurs proches et leurs biens quotidiennement. Si je détaille toutes les réalités, il me faudra un livre entier. La liste n’est donc pas exhaustive.

Cependant, Excellence,

Qu’est-ce qui explique cette situation, malgré la montée en puissance des FDS et des VDP ? Ce serait trop osé de ma part de dire que le problème est mal posé. Néanmoins, je vois les choses différemment.

Au début du terrorisme, il n’y avait pas assez de combattants autochtones. Mais aujourd’hui, la réalité est là : il y a un nombre important de combattants locaux, selon les informations que nous suivions, et des vidéos confirment ces informations. Pouvons-nous dire que les terroristes gagnent plus de terrain géographiquement et en ressources humaines ? La réponse est affirmative, et le nombre de déplacés internes confirme cette réalité.

Les zones qui subissent des attaques terroristes aujourd’hui sont celles où les populations sont les plus pauvres du pays, malgré les ressources disponibles. Ces zones ont, pendant longtemps, été ignorées; leurs développements et leurs problèmes n’ont jamais été pris en compte. Pourquoi les Ouagalais ou les Bobolais se radicalisent-ils moins que les populations de ces zones ?

Excellence,

Celui qui a faim n’est pas libre. Quand on se noie, on s’accroche à tout, y compris les crocodiles. Dans le point de presse du Conseil des ministres du 23 juin dernier, le ministre de la communication expliquait que les auteurs de l’attaque de Solhan avaient l’âge compris entre 12 et 14 ans. Ce qui veut dire que ces adolescents avaient entre 7 et 9 ans en 2016. Qu’est-ce que l’Etat a fait aux proches et parents de ces enfants en 2016 pour que ces derniers aient un cœur de pierre aujourd’hui ?

Excellence,

Mieux vaut tard que jamais. Vous êtes le plus grand citoyen de ce pays, et vous êtes le mieux placé pour écrire votre nom en or dans l’histoire du Burkina Faso. Par conséquent, il va falloir poser des actions fortes et uniques. Je ne veux pas parler de réconciliation, mais l’Etat peut faire un mea-culpa, avoir le courage de demander pardon aux personnes qu’il a brimées depuis les années 2000 jusqu’à ce jour, et rendre une justice équitable aux victimes de Yirgou. On expliquera peut-être que la justice est indépendante. Certes, elle l’est, mais elle applique les lois votées par les politiques. Le mea-culpa et la justice rendue équitablement affaibliront considérablement les groupes armés en ressources humaines. Aussi, l’Etat doit marquer sa présence partout, car le besoin de sécurité ne se limite pas à Ouagadougou et à Bobo Dioulasso.

Excellence Monsieur le Président du Faso,

C’est sur les lignes que je boucle ma lettre, en espérant que ma manière de voir les choses sera prise en compte dans vos futures décisions.

Que Dieu protège la noblesse de la fonction présidentielle, ainsi que toutes les entités au front!

Wendpouiré Charles Sawadogo