Le retour de Seif al-Islam Kadhafi menace de démanteler le camp de Haftar (Analyse Anadolu)

L’apparition de Seif al-Islam Kadhafi, libre pour la première fois depuis la chute du régime de son défunt père en 2011 et l’annonce de son souhait de réintégrer la vie politique sont de nature à rendre encore plus compliquée une scène libyenne, déjà en crise depuis une décennie, et cela pourrait enliser le pays dans une nouvelle guerre plus destructive encore.

En effet, 10 ans après la chute du régime de Mouammar Kadhafi, la Libye est divisée entre un est contrôlé par le général à la retraite, Khalifa Haftar, et un ouest dominé par des milices armées, principalement les milices de Misrata, dirigées par Fethi Bachagha, ancien ministre de l’Intérieur au gouvernement de Consensus (2016-2021).

Seif al-Islam se présente comme étant une troisième option pour réunifier un pays déchiré par la guerre civile et l’effondrement de son économie, bien que la Libye recèle les plus grandes réserves pétrolières en Afrique.


Il est encore en vie

Seif al-Islam Kadhafi est réapparu au cours d’une interview accordée au journaliste américain Robert Worth, en mai dernier, pour le compte du Journal « The New York Times ». L’interview a été diffusée, vendredi dernier, sous forme d’un long compte-rendu sur la crise libyenne.

Au-delà des déclarations et des propos tenus par Seif al-Islam, ce qui se dégage le plus de l’article du « The New York Times » est la photo du fils de Kadhafi, arborant une barbe poivre et sel et portant un habit, qui ressemble plus à ce que portent les hommes dans les pays du Golfe, et un turban noir.

Cette image est la première preuve qui atteste que Seif al-Islam est encore en vie, alors que de multiples rumeurs avaient circulé au sujet de son décès.

En effet, le journal « Al-Ounwan » (Le Titre, proche de Haftar) avait annoncé la mort de Seif al-Islam en prison, des suites de la tuberculose, et ce quelques jours avant sa libération.

Seif al-Islam avait été arrêté au mois d’octobre 2011, alors qu’il tentait de fuir vers le Niger. Libéré en 2017 par le groupe armé qui le détenait dans la région du Zenten à al-Jabel al-Gharbi (à 170 Km au sud-ouest de Tripoli), aucune trace de lui n’a été constatée depuis cette date.

Les deux dernières personnes à l’avoir rencontré, au cours de la période écoulée, sont les activistes russes, Maxim Shu Galle et Samer Hassan Swaifan, qui avaient été interpellés, à Tripoli en 2019, étant accusés d’espionnage, avant qu’ils ne soient libérés l’année suivante.

Depuis cette date, les informations étaient contradictoires au sujet du destin de Seif al-Islam, et certaines parties sont allées jusqu’à mettre en doute le fait qu’il soit en vie, et ce jusqu’à sa récente apparition, vendredi dernier, sur les colonnes du journal américain.


Soutenu par des sympathisants et disposant de fonds : il veut récupérer le pouvoir

Ce qui a soulevé le plus la polémique dans l’article publié par le journal américain est que Seif al-Islam n’a pas changé d’un iota, n’exprimant aucun remord, dès lors qu’il pense que le temps est venu pour instaurer l’ère du « Livre vert » cher à son défunt père.

Le fils de Kadhafi estime que les « hommes politiques libyens n’ont amené au pays que désolation et misère et que le temps est venu pour renouer avec le passé, dans la mesure où la Libye est à genoux, sans sécurité ni argent. Il n’y a plus de vie ici ».

A partir de cette analyse tragique de la situation qui règne dans le pays, le fils de Kadhafi se présente en tant que « sauveur, qui veut ressusciter l’unité perdue ».

Bien que Seif al-Islam Kadhafi n’ait pas annoncé sa candidature à la prochaine Présidentielle du 24 décembre 2021, il n’en demeure pas moins que ses représentants au Forum du Dialogue politique avaient combattu, en coordination avec les soutiens de Haftar, pour annuler toute condition posée aux candidatures au scrutin.

Parmi les conditions qui entravent sa candidature, figure la décision judiciaire qui n’est pas encore définitive, rendue à son encontre par un tribunal de Tripoli en 2015, qui ordonne son exécution par balles, de même que son extradition est exigée par la Cour Pénale Internationale (CPI) pour avoir perpétré des crimes contre l’Humanité.

Malgré cela, Kadhafi fils est convaincu de ses capacités et aptitudes pour surmonter les entraves d’ordre judiciaire et ses sympathisants ont pris l’initiative de lancer des campagnes de soutien sur les réseaux sociaux, et ce depuis le mois novembre 2020.

En effet, dix années après le lancement de la révolution n’ont pas permis d’effacer les traces de 40 ans de pouvoir sans partage de Kadhafi et de ses fils. Des villes et des tribus libyennes affichent publiquement leur soutien à Kadhafi, à l’instar des tribus des Kedhedhfa, des M’guerha et des Werfella déployées, entre autres, dans les villes de Syrte (ouest), de Béni Walid (Centre) et de Sebha (Sud).


De même, Ahmed Guedaf al-Dam, cousin de Seif al-Islam, qui réside actuellement en Egypte, lui assure le soutien financier, dès lors qu’il dispose d’une grande richesse et qu’il dirige le parti du « Militantisme national ».
Par ailleurs, et bien que les milices sécuritaires mises sur pied par Mouammar Kadhafi pour soutenir et protéger son régime, ont été démantelées après la révolution, il n’en demeure pas moins que les protagonistes du conflit ont recouru à ces milices pour les intégrer dans leurs unités militaires et la majorité d’entre elles combattent actuellement dans les rangs des milices de Haftar.

Le journal « The New York Times » a rapporté, selon des sondages d’opinion, que 57% des habitants d’une seule région (sans la citer) ont exprimé leur confiance qu’ils placent en la personne de Seif al-Islam Kadhafi.

Le journal américain avait également cité une avocate libyenne qui indique que ses travaux officieux menés pour mesurer l’opinion publique révèlent que 8 ou 9 Libyens sur 10 voteraient en faveur de Seif al-Islam.

De plus, Seif al-Islam a un allié puissant, en l’occurrence la Russie, qui pense qu’il remportera les élections, selon un diplomate européen qualifié par le journal américain d’«expérimenté et fin connaisseur des affaires libyennes ».

Moscou ne dissimule point son soutien à Kadhafi. Rappelons que l’envoyé spécial du Président russe pour la région du Moyen-Orient et l’Afrique, Michael Bogdanov, avait accueilli le 15 janvier dernier, Meftah Werfelli et Omar Abu Cherida, représentants du « Mouvement de Seif al-Islam ».


La montée de Seif al-Islam menace Haftar


La principale partie qui sera Lésée par le retour de Seif al-Islam est indéniablement Haftar qui s’est allié depuis la fin de l’année 2014 avec les chefs des milices sécuritaires relevant auparavant du régime de Kadhafi, en assimilant leurs éléments dans les rangs de ses milices, et ce sur orientation des autorités sécuritaires égyptiennes, selon le lieutenant-colonel Abdelbasset Tika, un des dirigeants de l’appareil de lutte contre le terrorisme à Tripoli.
Seif al-Islam lui-même avait prétendu que 80% des combattants dans les rangs des milices de Haftar font partie de ses sympathisants et ce, dans une déclaration rapportée par deux activistes russes qui avaient été interpellés à cause de lui en 2019.
Le retour du fils de Kadhafi pourrait causer une scission dans les rangs des milices de Haftar, particulièrement s’il décide de reprendre le pouvoir par la force, bénéficiant en cela de l’appui russe ou au cas où se présentera à l’élection. Le cas échéant, il sera le principal concurrent de Haftar.
Il convient de noter que les sympathisants de Kadhafi occupent des postes sensibles au sein des milices de Haftar, s’agissant essentiellement du général Mabrouk Sahban, chef des forces terrestres (issu de la tribu des M’guerha) et du commandant Omar Mrajea, chef du régiment « Tarek Ibn Zied » ainsi que le général Abdessalem Hassi, chef des unités spéciales.
Avant eux, Mohamed Ben Naiel, chef du 12ème régiment qui avait pris le contrôle de la base aérienne de Barak al-Chatea (Sud) en 2016 et qui avait rallié Haftar, qui grâce à lui, ce dernier est parvenu à accéder aux bases aériennes de Tamenhent (Sud) d’al-Joffra (centre), avant qu’il ne décède dans des conditions mystérieuses.
De plus, Massoud Dhaoui, un des chefs loyaux à Kadhafi dans la région de Werchfena, à proximité de la capitale Tripoli, avait été liquidé par les milices de Haftar en 2019 lors de l’offensive lancée contre la capitale.
Bien que Haftar avait qualifié une fois Seif al-Islam de « pitoyable », il n’en demeure pas moins qu’il avait tenté de l’assassiner à maintes reprises, selon les sympathisants de Kadhafi, et sur la base également du témoignage de Ibrahim El Madani, chef du régiment « Mohamed El Madani » au Zenten, qui a affirmé que « des éléments relevant de Haftar lui avaient demandé de d’éliminer Seif al-lslam.
Cela reflète l’inquiétude de Hafter quant au danger que pourrait constituer Seif al-Islam, s’il se décidait à reprendre le pouvoir, d’autant plus que le général à la retraite était un ennemi à Mouammar Kadhafi, depuis qu’il ait été fait otage durant la guerre du Tchad en 1987 ».


Le dilemme de Wagner : Seif al-Islam ou Haftar ?


Si Haftar s’emploie à garder les sympathisants de Kadhafi dans les rangs de ses milices en leur accordant émoluments et salaires ainsi qu’ à travers l’oppression et les liquidations physiques, il n’en demeure pas moins que l’éventuel soutien russe devant être apporté à Seif al-Islam est ce qui le tourmente le plus.
En effet, la Russie est présente militairement en Libye à travers la compagnie militaire privée Wagner et des informations circulent récemment au sujet de la présence de forces russes régulières sur le territoire libyen.
Ce poids militaire de Moscou, et bien qu’il apparaisse initialement en faveur de Hafter, il n’en demeure pas moins qu’il se pourrait que la Russie opte pour Kadhafi à la fin si elle sera amenée à trancher entre lui et le général à la retraite.
Cela pourrait interpréter l’affirmation faite par Haftar au cours de la période écoulée en évoquant la nécessité du départ de l’ensemble des mercenaires étrangers, « sans exception ».
De plus, l’approbation par Hafter de rouvrir la route côtière reliant l’est à l’ouest du pays, il y a de cela une semaine, alors qu’il avait entravé cette mesure à maintes reprises, reflète le début d’un changement dans sa stratégie initiée vers un rapprochement relatif avec le gouvernement d’Union nationale.
De même, il n’est pas exclu que le retour de Kadhafi sur la scène politique sera de nature à refaçonner de nouvelles alliances, même si elles seraient contre-nature et peu harmonieuses, entre les ennemis d’hier, dans le cadre de la politique « L’ennemi de mon ennemi est mon ami ».
Toutefois, les sympathisants de Kadhafi avaient perdu, depuis 2011, la majorité des combats militaires engagés contre les milices de l’ouest libyen ou encore contre Haftar, et cela amènerait à s’interroger sur la capacité de Seif al-Islam à parvenir à réunir ses forces. Ou ce retour contribuera-t-il davantage à scinder le pays ?

*Traduit de l’arabe par Hatem Kattou

Agence Anadolu