[Interview exclusive] Seytenga, terrorisme, France, politique : ce qu’en pense Wendpouiré Charles Sawadogo

Il s’appelle Wendpouiré Charles Sawadogo. A la date du 16 juin 2022, il est suivi par environ 160.000 personnes sur son profil Facebook, et par plus de 22.000 autres sur Twitter. Son profil Facebook, représenté par la photographie d’un soldat encagoulé, est devenu une source crédible d’information pour nombre d’internautes. Peu sont, en effet, les internautes burkinabè qui passent une journée sans jeter un coup d’œil sur son mur. Des alertes sur la présence de groupes armés terroristes dans certaines localités précises, des analyses pertinentes, des révélations : tout est là pour informer le citoyen à la minute près, et lui donner une clé de compréhension du phénomène terroriste. Avec un brin d’engagement, plus à gauche.

C’est la première fois que Wendpouiré Charles Sawadogo accorde une interview à un média. L’interview a été réalisée ce 15 juin 2022 par échanges de textes sur la messagerie whatsapp, sans contact physique avec l’intéressé.

Dans cette exclusivité sur ACTUALITE.BF, le lanceur d’alerte répond sans faux-fuyant à toutes nos questions : L’attaque de Seytenga et ses implications, l’option Russie ou France comme partenaires, les premiers pas de la Transition, les possibles voies de sortie de crise,…

Lisez plutôt !

ACTUALITE.BF : Wendpouiré Charles Sawadogo, veuillez vous présenter à nos lecteurs !

Je suis wendpouiré Charles Sawadogo, de nationalité burkinabè, et résidant au Burkina Faso.

ACTUALITE.BF : commençons par l’actualité. Comment avez-vous vécu le drame de Seytenga?

Wendpouiré Charles Sawadogo (WCS) : Après le massacre de Solhan, je ne pensais jamais revivre un tel cauchemar dans le pays des hommes intègres. Il a fallu être trop fort pour ne pas recourir au Vodka afin de pouvoir supporter ce qui s’est passé à Seytenga.

ACTUALITE.BF : Justement ! Yirgou, Solhan, Inata, Gorgadji : les drames se suivent et se ressemblent. Pourquoi l’Etat n’arrive-t-il pas à capitaliser ces expériences douloureuses pour éviter les répétions de tragédies ?

Gorgadji était une vengeance, alors que Seytenga est une conquête de zone stratégique pour les terroristes.

WCS

WCS : En effet, après Yirgou, Solhan et Goegadji, nous y sommes encore avec Seytenga. Ces drames ont tous coûté chèrement des vies humaines, mais ils n’ont pas les mêmes causes. Par exemple, Yirgou n’a jamais été une attaque terroriste, contrairement aux autres. Gorgadji était une vengeance, alors que Seytenga est une conquête de zone stratégique pour les terroristes. Malheureusement, l’Etat n’arrive toujours pas à éviter ces drames dus à un problème d’anticipation. J’ai l’impression que l’Etat est toujours dans la routine, en espérant des résultats différents concernant les drames.

ACTUALITE.BF : 100, 150, plus de 200… Les bilans parallèles contredisent ceux du gouvernement. Finalement, qui est crédible ?

Après des vérifications, les sources locales ont toujours la bonne information.

WCS

WCS : Depuis 2015, le Burkina, en plus de l’insécurité, souffre de problèmes de communication. De Yirgou à Seytenga en passant par Liki, Gorgadji, Solhan, il y a toujours des confrontations entre les chiffres du gouvernement et ceux des sources locales. Après des vérifications, les sources locales ont toujours la bonne information. Sous l’ère Kaboré, ce problème existait, et malheureusement, il persiste. Le gouvernement doit revoir sa méthode, sinon à un moment, les communiqués ne seront que du conformisme. Cet antécédent grave sur les communiqués salit l’image du pays. J’ai un ami dans un pays voisin qui m’a affirmé que quand il y a une attaque de grande envergure ciblant des civils, ils attendent les bilans des réseaux sociaux, plus crédibles à leurs yeux. Si vous vous rappelez bien, le gouvernement avait sanctionné un média suite au traitement de l’attaque de Solhan. Mais après, il s’est avéré que la quasi-totalité des informations du média étaient fondées.

ACTUALITE.BF : Les FDS ont dû quitter tous Seytenga, frontalier pourtant du Niger. Et c’est juste après qu’il y a eu le massacre. Qu’est-ce qui peut bien expliquer ce retrait ?

Que pouvaient-ils faire si ce n’est que replier ?

WCS

WCS : Tout bon observateur savait que les victoires engrangées par la coalition FAMA / GATIA dans la zone de Ménaka au Mali, auraient des répercussions sur le sol burkinabè. Les terroristes chassés de là-bas cherchent des terres vivables. La gendarmerie a été attaquée, et malgré les secours demandés, il n’y a pas eu d’appui. Dans cette tragédie, 11 gendarmes ont déposé les armes pour l’éternité. Que pouvaient-ils faire si ce n’est que replier ?

ACTUALITE.BF : De ce qui précède, êtes-vous de ceux qui pensent qu’il faut armer le peuple ?

Armer la population requiert une extrême prudence.

WCS

WCS : Armer la population requiert une extrême prudence. Les exactions commises par certains Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) par endroits, ont germé des réserves quant à l’option d’armer les civils. Dans une certaine mesure, il faudra revenir à cette option, celle d’armer le peuple.

ACTUALITE.BF : Après l’attaque de Solhan, dans une tribune sur ACTUALITE.BF, vous avez proposé que l’Etat demande officiellement pardon aux citoyens à qui il a causé du tort dans la lutte contre le terrorisme. Cette idée est-elle d’actualité ?

La grande expansion du terrorisme dans le Centre-Nord est liée au drame de Yirgou

WCS

WCS : Oui ! Elle est toujours d’actualités. Elle permettra de récupérer certains terroristes. Dans les rangs des terroristes, certains se sont enrôlés parce qu’ils se sentent délaissés par l’Etat, à cause des injustices. Et la grande expansion du terrorisme dans le Centre-Nord est liée au drame de Yirgou que la justice n’a jamais pu résoudre à cause de manque de volonté politique et des limites des moyens de l’institution judiciaire.

ACTUALITE.BF : Continuer avec la France ou aller avec la Russie : quelle est votre opinion sur la question ?

Ceux qui défendent bec et ongles la France ne sont même pas capables de citer un seul pays où l’intervention française a permis de stabiliser une crise.

WCS

WCS : En 1670, la France a mis pied en Afrique. S’en est suivie la colonisation. Aux indépendances, tous les pays ont choisi de rester avec leurs anciens colonisateurs. Mais la France n’a jamais accordé une réelle indépendance à ses anciennes colonies. Pourquoi les anciennes colonies anglophones ont-elles chacune sa propre monnaie, alors que les anciennes colonies françaises, à l’exception de la Guinée Conakry, utilisent une monnaie contrôlée par la France ? Pour ce qui est de la sécurité, ceux qui défendent bec et ongles la France ne sont même pas capables de citer un seul pays où l’intervention française a permis de stabiliser une crise. De Biafra (Nigeria) au Mali en passant par le Rwanda (pays où elle a été évincée), la Centrafrique, … c’est toujours le même scénario. Pendant combien d’ans la France a-t-elle été au Mali ? quel est le résultat ? La Russie est-elle une option ? je ne saurai l’affirmer, mais ce que je sais, c’est que les Russes ont permis par exemple à la Centrafrique de se stabiliser. Le pays des tsars a permis également au Mali d’acquérir du matériel rapidement. Certes, le Burkina Faso collabore avec la Russie, mais à faible échelle pour avoir un grand impact.

ACTUALITE.BF : Parlons politique à présent. Presque cinq mois après le putsch du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR), êtes-vous rassuré par la trajectoire prise par la Transition ?

Ce serait hypocrite de ma part de dire que la Transition est sur la bonne trajectoire…

WCS : Ce serait hypocrite de ma part de dire que la Transition est sur la bonne trajectoire, vu les derniers évènements. Ce que je sais, selon les informations à mon niveau, est que la Transition déploie une nouvelle stratégie dans la lutte contre le terrorisme. Les habitants de la Boucle du Mouhoun ne diront pas le contraire. Un ancien maire de cette région m’a avoué que depuis les premières attaques, si ce n’est pas sous cette transition, ils n’avaient jamais vu une action aussi offensive des Forces de Défense et de Sécurité sur les terroristes dans sa commune.

ACTUALITE.BF : Vous êtes l’un des rares lanceurs d’alertes à continuer d’informer les internautes sur l’actualité sécuritaire. Finalement, à quel bord politique appartenez-vous ?

J’ai des amis au MPP, au CDP, à l’UPC, à l’UNIR / MPS…

WCS

WCS : Cette question, elle m’a été posée maintes fois par certains de mes abonnés. Mon parti est le drapeau tricolore rouge, vert avec une étoile jaune à cinq branches au milieu. Je suis disponible pour travailler avec tous ceux qui se soucient du pays. J’ai des amis au MPP, au CDP, à l’UPC, à l’UNIR / MPS…, et dans la société civile. Je me garderai de citer des noms.

ACTUALITE.BF : On a l’impression d’être enlisé dans la lutte contre le terrorisme. D’où viendra le salut, selon vous ?

Le salut des Burkinabè viendra d’eux-mêmes, avec l’accompagnement de grandes puissances sincères et honnêtes…

WCS

WCS : Le salut des Burkinabè viendra d’eux-mêmes, avec l’accompagnement de grandes puissances sincères et honnêtes, d’une collaboration entre le Burkina, le Mali, le Niger, la Côte d’Ivoire et le Togo. Il faut un engagement de la population et une collaboration gagnant-gagnant avec de grandes puissances. Si quelqu’un pense que le seul engagement suffit, il se fourre le doigt dans l’œil. C’est hypocrite d’affirmer : « Comptons uniquement sur nous-mêmes ». Nous avons besoin d’armes et de munitions. Or, l’achat des armes requière plusieurs relations. Ce n’est pas comme payer une moto ou un vélo.

ACTUALITE.BF : Vous prenez beaucoup de risques à alerter les citoyens. N’êtes-vous pas intimidé par des menaces et des mises en garde ?

Sous le MPP, je recevais des intimidations mais…

WCS

WCS : Sous le MPP, je recevais des intimidations, mais pas de menace. Des gens avaient produit des canulars pour qu’on m’arrête, mais la vigilance de certaines autorités m’ont permis de m’en sortir. Actuellement, il y a de l’encadrement dans ma manière de véhiculer l’information, sans toutefois que cela m’empêche de dire la vérité.

ACTUALITE.BF : Nous sommes au terme de l’entretien. Auriez-vous un mot de la fin ?

Taisons nos querelles!

WCS

WCS : Nous n’avons qu’un seul Burkina. En période de guerre, comme on le dit chez les Lobis, taisons nos querelles et unissons-nous pour vaincre l’ennemi.

Interview réalisée par Charles Ilboudo