Guinée-Conakry : les dessous d’un coup d’Etat annoncé

C’est un nouveau tournant qui s’amorce pour la Guinée-Conakry qui a vécu dimanche dernier le 3ème coup d’Etat de son histoire avec l’éviction du Président Alpha Condé, par ailleurs premier chef d’état élu à être destitué.

Les coups d’Etat sont en effet récurrents dans ce pays de l’Afrique de l’ouest indépendant depuis 1958.

Auteur d’un coup d’Etat une semaine après le décès du Président Ahmed Sékou Touré en avril 1984, le général Lansana Conté avait mis en place le Comité militaire pour le redressement national (CMRN). Cet organe l’a proclamé deux jours plus tard président avec comme objectif d’établir un régime démocratique. Conté a été par la suite été régulièrement réélu jusqu’à sa mort le 22 décembre 2008 sans parvenir à son objectif de départ.

Une junte sous la bannière du Comité national pour la démocratie et le développement (CNDD), conduite par le capitaine Moussa Dadis Camara, prend alors le pouvoir le 24 décembre 2008. Dadis Camara est à son tour victime d’une tentative de coup d’Etat, un an tout juste après son installation. Blessé à la tête lors de l’opération et évacué au Maroc, il démissionne quelques jours après. C’est alors que Sékouba Konaté devient Président de la Transition à la suite de la déclaration de Ouagadougou et organise la présidentielle de 2010. Un scrutin remporté par Alpha Condé.

L’histoire s’est répétée à nouveau avec le Comité national du rassemblement et du développement (CNRD) mis en place par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya et ses hommes, les nouveaux maîtres de la Guinée depuis dimanche.

Invités à se prononcer sur les événements de dimanche, des experts ont évoqué cet état de fait lié à l’histoire tout en convoquant d’autres facteurs pour expliquer la chute du président déchu, Alpha Condé.

“Une tendance”

« C’est l’expression d’une tradition à la violence très ancrée dans l’histoire de la politique guinéenne », a confié à l’Agence Anadolu le conseiller en politique Emmanuel Desfourneaux, faisant une analyse de la situation.

Le spécialiste sur les questions africaines a aussi mis en exergue, dans son analyse, l’effet de contagion avec notamment ce qu’a vécu dernièrement le Président malien Ibrahim Boubacar Keita.

« C’est aussi une tendance (…) Le coup d’État militaire revient sur la scène politique comme au Mali. Sans doute Assimi Goïta a-t-il inspiré son frère d’arme, Mamady Doumbouya », a glissé l’analyste français.

Un argument que conforte, le journaliste et analyste politique Barka Bâ, parlant d’un effet domino dans la sous-région.

« Assimi Goïta a fait deux coups d’État en une année et rien ne lui est arrivé, il est resté à la tête de l’État. Ce qui a sans doute donné des idées à Mamady Doumbouya », a soutenu Bâ à Anadolu.

« L’Union africaine et la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, NDLR) vont faire des condamnations de principe et rien ne va lui arriver. La tentation (de prendre le pouvoir par les armes) est grande alors », a poursuivi l’analyste sénégalais, rappelant que les deux hommes ont participé ensemble en 2019 à Ouagadougou (Burkina Faso) à l’opération Flintock (exercice militaire conjoint organisé par le commandement militaire américain pour l’Afrique).

Climat politique délétère

Plongeant plus en profondeur, Bâ qui a affirmé n’être « pas surpris » du coup d’Etat contre Condé a convoqué le climat politique délétère qui a prévalu en Guinée depuis des années comme autre facteur.

« On regrette forcément que des coups d’Etat soient perpétrés en Afrique mais pour ce cas-ci, ceux qui suivent l’actualité guinéenne avaient vu venir », a-t-il affirmé.

Selon lui en effet, les espoirs suscités par l’Accord de Ouagadougou en 2010 sont vite retombés avec l’élection d’Alpha Condé lors de la présidentielle qui en a découlé.

« Condé a engrangé 18% des voix lors du 1er tour. On est resté 5 mois pour organiser le 2ème tour ; un fait inédit dans le monde. Il gagne par la suite avec 52% », a-t-il rappelé, affirmant qu’un puissant lobby “entretenu par la Francophonie” et d’autres forces de l’ombre avaient transformé « la défaite de Condé en victoire ».

« Depuis lors, la Guinée est en crise politique avec en prime des centaines de morts », a-t-il expliqué, soutenant d’ailleurs que cette victoire était « le péché originel » de la gouvernance de Condé.

Malaise social ambiant

Dans une déclaration sur les ondes d’une télévision privée, Cheikh Yérim Seck, analyste politique et ancien de Jeune Afrique a évoqué le malaise social ambiant des populations et la tension économique qui a atteint son paroxysme comme autres arguments à mettre sur la balance.

« Les difficultés des Guinéens n’ont jamais été aussi aiguës (…) L’inflation est à 20% ; ce qui a poussé l’Etat à réduire de 5% les salaires des fonctionnaires », a-t-il dit.

« Au même moment, en 2020, la Guinée a engrangé 4 milliards USD en ressources tirées de la bauxite. Le pays a vendu 80 millions de tonnes de bauxite et n’a pas pu payer le moindre penny de dette, ni intérieure ni extérieure », a poursuivi Seck, notant que le coup d’Etat était ainsi arrivé dans un contexte de faillite totale de l’Etat.

Tension latente entre Condé et Doumbouya

Quid alors du lieutenant-colonel Mamady Doumbouya ? Pour Desfourneaux le coup d’Etat résulte, plus que de toute autre considération, d’une tension latente entre Condé et son bourreau.

Rappelé en fait par le Président Condé en 2018 pour diriger le groupement des forces spéciales (GFS), une unité d’élite nouvellement mise en place, l’ancien légionnaire a connu des déboires à partir de mai 2021 suite à sa volonté d’autonomiser le GPS par rapport au ministère de la Défense.

La méfiance a alors commencé à se faire sentir du côté de Conakry qui a voulu progressivement affaiblir Doumbouya dont l’unité était super équipée et mieux entraînée que les autres entités de l’armée.

Officieusement même, il était mis aux arrêts et ce n’est qu’après avoir été libéré par ses hommes qu’il s’est dirigé au palais pour destituer le Président Condé.

« Les velléités d’autonomie de Mamady Doumbouya ont eu raison d’un pouvoir fragilisé par le référendum (mars 2020), les manifestants tués et la réélection controversée d’Alpha Condé », note ainsi Desfourneaux.

Une page fermée

La page Condé (2010- 2021) fermée, sauf rebondissement spectaculaire, la Guinée se hissera-t-elle enfin au rang des pays stable et démocratique ?

En tout cas, le nouvel homme fort de Conakry, contre qui aucune voix intérieure ne s’est officiellement levée pour décrier la prise du pouvoir, y compris au sein du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG, du président Condé), a assuré son ambition d’intégrer son pays au concert des nations démocratiques.

Il a, dans ce registre, promis des concertations imminentes avec l’ensemble des forces vives de la nation.

« Mamady Doumbouya a dorénavant une responsabilité devant l’histoire de son pays », a noté Desfourneaux, faisant savoir que le tombeur de Condé a l’occasion de relancer le processus de paix et la concorde nationale.

« C’est le moment de faire émerger une Guinée plus stable politiquement et de l’inscrire vers la voie du développement », a-t-il poursuivi, indiquant que « si les acteurs sont sincères », la perspective de réussite en Guinée semble plus à portée de main qu’au Mali.

Barka Bâ n’émet cependant pas sur le même tempo. Se fondant sur les épisodes précédents similaires dans ce pays et dans d’autres de la sous-région comme le Mali ou la Gambie, il a remis en cause la capacité des militaires à instaurer un vrai Etat de droit.

Qu’à cela ne tienne, Mamady Doumbouya est en face de défis énormes dont le non moins important sera d’instaurer une véritable cohésion nationale dans un pays où les considérations ethniques ont de tout temps pris le dessus dans le cadre de la gestion et de la conquête du pouvoir.

Agence Anadolu