Gambie : l’ombre de Yaya Jammeh plane sur la Présidentielle

Après une campagne électorale de trois semaines qui a pris fin jeudi et ayant permis aux candidats en lice de sillonner les sept régions du pays, les quelque 900 mille électeurs gambiens se rendent samedi aux urnes pour élire leur président de la République pour les cinq prochaines années.

Une présidentielle particulière en ce sens que c’est la première depuis la chute du président Yaya Jammeh, sorti en 2016 par la petite porte après avoir tenté de confisquer le pouvoir malgré sa défaite.

Suite à six semaines de crise intense et l’intervention militaire de pays de la CEDEAO dont principalement le Sénégal, Jammeh, arrivé au pouvoir en 1994 par un coup d’état et régulièrement réélu jusqu’en 2016, avait finalement capitulé et fut contraint à l’exil en Guinée Equatoriale où il séjourne à ce jour.

Yaya Jammeh si loin et si près


Loin de son pays, le prédécesseur d’Adama Barrow n’en est pas pour le moins absent de la scène politique. Après avoir récusé énergiquement l’alliance scellée à la mi-septembre entre son parti l’alliance patriotique pour la réorientation et la construction (Aprc) et celui de son successeur, Jammeh a pris fait et cause pour Mama Kandeh, candidat arrivé 3ème lors de la présidentielle de 2016.

Il est intervenu à plusieurs reprises par téléphone aux meetings et rencontres sur les réseaux sociaux organisés par Kandeh dans le cadre de la campagne.

« Je mets en garde Mama Kandeh. Nous voulons la paix dans ce pays, Yahya Jammeh vit en exil. Son exil lui enlève le droit de participer à la politique gambienne. L’expression de Yahya Jammeh sur les plateformes politiques de Kandeh peut provoquer des conflits dans ce pays », avait dénoncé à ce sujet le président Adama Barrow lors d’un meeting dans son fief (Jimara, en Basse Gambie).

« Je le mets en garde sérieusement et je demande à la Commission électorale de mettre en demeure Mama Kandeh », avait-il poursuivi.

Officiellement la commission électorale n’a pas réagi aux mises en garde du président Barrow. La commission des droits de l’homme de Gambie avait, pour sa part, réagi à travers un communiqué dans lequel elle a appelé les candidats à faire preuve de retenue pour une présidentielle « pacifique, transparente et crédible ».

Adama Barrow face à cinq challengers


Outre Kandeh qui partage avec le président sortant le même fief, Barrow devra faire face à Ousainou Darboe, opposant historique à Yaya Jammeh et leader du Parti démocratique unifié (Udp). C’est d’ailleurs sous la bannière d’une coalition dirigée par ce plus grand parti de l’opposition que Barrow, lui-même membre de cette formation, avait remporté la présidentielle de 2016.

Darboe qui se positionne comme le véritable challenger du président Barrow était en prison lors de ces joutes électorales . Il a été libéré à la chute de Jammeh avant d’hériter entre 2018 et 2019 du poste de vice-président de la Gambie.

La collaboration entre Darboe et Barrow a pris fin à la suite de la volonté du président en exercice de poursuivre son mandat jusqu’à terme. Il s’était engagé avec ses alliés à quitter le pouvoir au bout de trois années afin d’organiser une présidentielle anticipée sans lui.

Adama Barrow (56 ans) limoge ainsi Darboe et d’autres ministres membres de l’Udp et crée dans la lancée le parti national du peuple (Npp) tout en déclarant sa candidature pour la présidentielle de 2021.

La bataille connaît alors un autre tournant.

« Le scrutin du 4 décembre est une élection de choix entre un leader qui respecte sa parole et celui qui ne le fait pas », a ainsi régulièrement asséné l’opposant historique de 73 ans lors de ses meetings de campagne.

« Un vieux n’a pas la capacité de diriger un pays. Il faut choisir d’avancer et non de reculer », a rétorqué mardi Barrow lors d’un meeting à Serrekunda.

Halifa Sallah de l’Organisation démocratique du peuple pour l’indépendance et le socialisme, Abdoulie Ebrima Jammeh du parti de l’Unité nationale et enfin Essa Mbaye Faal, candidat indépendant viennent compléter le tableau d’une présidentielle dont Barrow et Darboe sont les principaux favoris.

Un système de vote inédit


Les électeurs vont ainsi départager les six candidats à travers les billes qui tiennent lieu de bulletin de vote. Ce système qui subsiste depuis l’indépendance du pays en 1965 est une particularité gambienne qui satisfait a priori tout le monde.

« Le vote par billes est le système connu en matière de vote en Gambie. C’est simple pour tout le monde et chacun a confiance en ce mode de vote. Chaque candidat a une urne aux couleurs de son parti dans les bureaux de vote, l’électeur vient ramasser une bille qu’il plonge dans l’urne de son candidat, le bruit qui retentit après avoir glissé la bille valide le vote. C’est comme ça. Il y a la transparence », a détaillé Pa Makan Khan, porte-parole de la commission électorale indépendante (CEI).

Autre fait particulier la présence d’observateurs étrangers pour suivre l’élection. Lors des précédents scrutins présidentiels, Jammeh avait refusé la présence des observateurs de l’union européenne et de la Commonweath.

« En ce qui concerne, les observateurs, beaucoup de délégations se sont inscrites. La société civile gambienne ainsi que la communauté internationale, à l’instar de l’Union africaine (UA), du Commonwealth, de la Francophonie, de la CEDEAO et de l’Union européenne (UE) », a relevé Khan, assurant qu’environ 2 000 observateurs étaient attendus.

Il a aussi fait savoir que 1554 bureaux de vote sont établis pour le présent scrutin.

Un scrutin pour consolider la démocratie et l’état de droit
Sous Barrow, 3ème président de la Gambie, le pays a incontestablement connu de grandes avancées en matière de démocratie, de liberté et de respect des droits de l’homme.

Le leader du Npp aspire à un 2ème mandat pour poursuivre le travail entamé. « Si nous sommes réélus pour un 2ème mandat, nous allons nous inscrire dans la logique de la continuité des projets engagés depuis 4 ans », soutient Barrow, faisant de la construction d’infrastructures et de la fourniture d’électricité des priorités.

Un bilan qui ne convainc pas cependant Ousainou Darboe qui se considère comme le vrai porteur du changement attendu par les populations notamment en ce qui concerne la gestion des affaires publiques.

« La prévarication ne s’est jamais aussi bien portée en Gambie que sous son magistère. Même Jammeh n’a pas fait pire. Le secteur de la santé est à genoux, l’école exsangue. Le pays a régressé dans tous les domaines », a martelé le leader de l’Udp lors de la campagne.

Plus petit pays de l’Afrique de l’ouest avec 11 mille kilomètres carrés, la Gambie est cependant densement peuplée 2.4 millions d’habitants. Enclavé dans le Sénégal et disposant d’une ouverture sur l’Atlantique, le pays tire principalement ses ressources de l’agriculture et du tourisme.

Des secteurs durement éprouvés par la pandémie de la Covid-19 ayant fait chuter la croissance à 0% en 2020 selon les chiffres de la Banque mondiale.

Il s’agira pour le nouveau locataire de la State House de conduire la relance économique, de lutter contre la pauvreté (48% de la population vit sous le seuil de la pauvreté selon la BM) et encore d’asseoir définitivement la transparence dans la gestion des affaires publiques, la démocratie et le respect des droits de l’homme en Gambie.

Un rapport de la commission vérité, réconciliation et réparations remis au président Barrow en novembre 2021 exhorte à des poursuites contre les responsables des exactions et crimes perpétrés en Gambie sous le règne de Jammeh.

Des organisations des droits de l’homme, dont Amnesty international, ont exhorté les candidats en lice, au cours de la campagne, à s’engager dans cette voie.

Agence Anadolu