France/Macron contre Le Pen : Remake de 2017, croyez-vous ? (Analyse)

Les sondages, quels que soient leur objectivité et la fiabilité scientifique des critères et des moyens mis à contribution, ne constituent jamais une certitude, surtout lorsqu’il s’agit de scrutins. Les résultats définitifs du premier tour de la présidentielle française ont confirmé cette vérité, à différents niveaux.

En effet, jusqu’aux dernières heures de la nuit du vendredi 8 avril, précédant le silence électoral, on donnait quasi-unanimement, pour presque certain un coude à coude des plus serrés entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, un institut plaçant même cette dernière, d’une petite tête, devant, tant sa courbe évolutive était favorable et celle de son rival en régression. Jean-Luc Mélenchon était crédité de moins de 20% de voix et le duo Valérie Pécresse – Éric Zemmour voguaient côté à côte derrière, avec environ 8% des intentions des votes. Tous ces “pronostics” sont passés à côté de la réalité des urnes.


– Entre votes utiles et décision des indécis


Le président sortant a, au bout du compte, dépassé sa concurrente de plusieurs longueurs (27,6% contre 23,4) davantage que lors du premier tour de 2017 (26,5% contre 23), Mélenchon (gauche radicale) montait à 22%, Zemmour (extrême droite) reculait à 7,1, alors que Valérie Pécresse, représentante du parti Les Républicains (centre droite) coulait à 4,8%. Plusieurs facteurs expliquent la disproportion entre les sondages et le verdict de ce premier tour.

Il y a tout d’abord le taux d’abstention qu’on ne peut réellement quantifier à l’avance et qui s’est élevé, hier, à 27%; tout près du record de 2002 (28,4). Il a, bien entendu, profité aux candidats dont les électeurs potentiels (partisans ou pas) avaient déjà fait leur choix. Interviennent ensuite les nombreux indécis, mais qui veulent exercer leur droit -et devoir- de vote, qui n’accordent leurs voix qu’à la dernière minute, n’étant convaincus par aucun candidat, même s’ils sont favorables à un courant ou à un autre. Enfin, on doit compter avec les engagés actifs et les sympathisants d’un mouvement, sans être des “purs et durs” pour un prétendant, qui ne veulent pas que leurs voix aillent à mauvais escient et qui, voyant le vent tourner en faveur d’un autre candidat de leur mouvance, préfèrent au dernier moment, lui accorder leur vote qui ne servirait à rien à leur préféré initial et qui, au contraire, profite aux adversaires. C’est ce qu’on appelle le vote utile. Emmanuel Macron doit sa remontée in extremis à cette réaction de la droite plus ou moins centriste, dont Valérie Pécresse a payé le prix. Il a sûrement profité d’une partie des voix des indécis, opposés quand même au radicalisme, de gauche ou de droite.

Le même phénomène s’est produit pour Marine Le Pen dont l’ascension du taux de vote s’est fait essentiellement au détriment de Zemmour qui, en l’espace de deux semaines, a perdu plus de la moitié des voix qui lui étaient favorables. Elle a dû, également, grignoter sur l’actif des deux autres représentants de l’extrême droite, Jean Lassalle et Nicolas Dupont-Aignan qui ont respectivement récolté de peu flatteurs 3,2 et 2,1% des voix.

Idem pour Jean-Luc Mélenchon d’une gauche radicale, en rupture avec les socialistes, qui a obtenu le meilleur résultat de ses trois candidatures à l’investiture suprême. Ses 22%, il les doit certes, à une persévérance dans sa défense des valeurs sociales et humaines, à une campagne où il a brillé par son éloquence d’homme de lettres, mais aussi à ce vote utile qui a relégué dans des “abîmes” les trois autres candidats proches de sa mouvance, le communiste Fabien Roussel (2,3%), l’anti-capitaliste Philippe Poutou (0,88) et la syndicaliste de Lutte ouvrière, Nathalie Arthaud (0,6).


– Équilibre à Trois blocs


S’il est une autre synthèse à tirer de ce scrutin, c’est bien que l’électorat français est en train de se radicaliser, à gauche et comme à droite. Plus de place aux programmes proposés sur des axes et des choix en demi-teinte. Le décompte des voix, par mouvance, donne mathématiquement l’avantage à l’extrême droite, avec un pourcentage de 36% des votants. Elle est suivie par le centre droit, représenté par la République en marche de Macron et du parti Les Républicains de Pécresse, qui totalise 32,5%. Arrive enfin l’extrême gauche avec 26%.

Schématiquement, ce sont là, les trois grandes tendances qui séduisent les Français. D’un côté, un Etat fort favorisant essentiellement la sécurité, l’exclusion, l’«identité française» et la lutte contre l’immigration. A l’autre extrême, un État-providence qui réduise les écarts sociaux, la pauvreté, le mal-logement et qui privilégie l’inclusion plutôt que l’exclusion, la santé et le bien-être pour tous. Bref, appliquer le désormais célèbre slogan “Nos vies valent plus que leurs profits”. Au milieu, l’assurance et la quiétude de toute velléité de grands changements, susceptibles d’entraîner des remous dont on craint d’éventuelles conséquences, même si le quotidien n’est souvent pas rose et bien que le statu quo arrange bien le capital. L’inconnu, ou ce qu’une bonne frange de Français, modérément conservatrice et opposée à l’extrémisme, prend pour tel, fait peur. Aussi préfère-t-elle faire confiance à Macron en serait la garantie, surtout quand il glane des valeurs à connotations sociales, voire socialistes et qu’il promet aides et concessions aux dépourvus et à la classe moyenne.

– Pas de naufrage en perspective


Maintenant que les urnes ont remis, comme somme toute attendu, le président sortant et Marine Le Pen face à face pour le deuxième tour, prévu le 24 de ce mois, l’un et l’autre devront batailler dur, pendant les onze jours qui viennent, afin de convaincre et chercher à gagner des voix. Car comme l’a dit Valérie Pécresse et elle était sensée en l’ayant affirmé : “Jamais l’extrême droite n’a été aussi proche du pouvoir”.

C’est que la représentante du Rassemblement national ne manquera pas de rappeler le passif de son vis-à-vis, fait du soulèvement des Gilets jaunes, des près de 140 000 victimes du coronavirus, dont des dizaines de milliers par sa mauvaise gestion de la crise, son exagéré attachement à l’Europe, “par prestige personnel et au détriment des Français”, pour reprendre sa fléchette, le mal-logement, la détérioration du pouvoir d’achat, la sortie peu glorieuse du Mali, sa “marche-arrière”, après la brouille avec le Rwanda puis avec l’Algérie… Autant de griefs qu’il ne comptait pas, lors du duel en 2017, où il profitait, de surcroît, de l’effet de surprise de l’exacerbation quasi-générale de l’opposition traditionnelle entre droite et parti socialiste et de la sympathie que suscitait sa juvénilité et sa virginité politique. Et quand on y ajoute le farouche refus de la majorité des partis et d’une grande partie des Français de voir l’extrême droite accéder au pouvoir, l’énorme écart qui l’a séparé de Marine Le Pen (43,6% contre 22,36) trouve sa logique explication.

Mais le face à face du 24 avril sera une toute autre affaire, car même si la socialiste Hidalgo, le Vert Yannick Jadot (avec son honorable 4,6% du premier tour), le communiste Fabien Roussel, Pécresse et Mélenchon ont appelé à voter Macron ou du moins à ne donner aucune voix à Le Pen, le président sortant doit cravacher dur, y compris dans le camp “allié” Les Républicains, où Éric Ciotti, le second derrière Valérie Pécresse, a ouvertement déclaré, hier, qu’il ne voterait pas pour lui. C’est dire que ce n’est pas gagné d’avance pour ce dernier, car rien ne dit que les consignes seront suivies. En plus, depuis quelque temps, il y a une sorte de normalisation avec l’extrême droite qui a appris à apaiser, à lâcher du lest à ne plus exacerber, ni trop choquer l’opinion, rapprochant l’extrême du centre de la droite. Aussi Marine Le Pen peut-elle naturellement espérer de nouvelles voix au-delà de celles de son propre camp et de ceux d’au moins Zemmour et de Dupont-Aignan qui, en camarades de mouvance, lui ont d’ores et déjà apporté leur soutien. Quant à Jean Lassalle, “réfractaire”, il n’est pas certain que ses partisans favorisent Macron à Le Pen, plus proche d’eux.

En définitive, un deuxième tour ouvert à tous les pronostics, en dépit des sondages qui, depuis le milieu de la nuit dernière, ont commencé à annoncer Emmanuel Macron investi d’un deuxième quinquennat, avec un écart variant entre deux et quatre pour cent. Rien n’est moins sûr. Ce sera à qui saura mieux convaincre, pendant ces onze jours de campagne et, surtout, pendant leur confrontation télévisuelle.

Au fait et pour terminer avec les sondages, de combien de points ont-ils été à côté du peloton de tête et des poursuivants, au premier tour ? A méditer…

Par Slah Grichi, ancien rédacteur en chef de La Presse de Tunisie

Publié par l’Agence Anadolu

Les opinions exprimées dans ce papier n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l’Agence Anadolu.