« Enlevez le peu de démocratie que nous avons, et la violence totalitariste et tyrannique s’invitera dans vos foyers » (Dr A. Louré)

Ceci est une tribune de Dr Arouna Louré sur la situation nationale.

« Tuez Sankara, des milliers de Sankara naîtront ». À voir la situation que nous vivons actuellement, on peut le dire sans se tromper : le Burkina Faso manque cruellement de personnes convaincues et abritées par un idéal. C’est à se demander si ceux qui se sont sacrifiés pour un idéal ne devraient pas le regretter amèrement à voir aujourd’hui la couardise, la lâcheté, la pleutrerie et la poltronnerie des Burkinabè vivants.

Ainsi, sous cape chacun donne son appréciation, sa philosophie, son idéal et ses inquiétudes vis-à-vis de la situation nationale, mais n’ose les défendre publiquement, mais pire encore, dit souvent le contraire en public. Même certains médias qui brandissent haut et fort ce fameux slogan  » la liberté d’expression a été arrachée au prix du sang et de la sueur » ; certes, mais le sang et la sueur des autres. Car aujourd’hui beaucoup de médias se contentent d’être de piètres relayeurs des communications des pages des ministères, des institutions et de l’AIB. Ainsi, incapable de se départir des émotions de la foule, des sentiments légitimes de peur, de la manipulation, de la faiblesse engendrée par un espoir factice et d’avoir une ligne rationnelle, notamment sur les réseaux sociaux, certains médias se font les vuvuzela d’un régime manipulateur et sans parole, n’ayant ni les compétences, ni la vision d’état pour diriger le Burkina Faso d’aujourd’hui.

Oui le sang, la sueur, les agressions, les invectives et les insultes, telles sont les voies pour défendre un idéal. Mais aujourd’hui le Burkinabè veut l’idéal sans le lot de sacrifice qui va avec.

Nous assistons passivement à une remise en cause de l’état droit ; la démocratie est devenue le mot à abattre par les thuriféraires d’un prince qui est incapable de nous donner les orientations politiques de sa gouvernance. Tout doucement, mais sûrement, nous avançons vers un régime tyrannique. Oui ! les pires dictatures, les plus sanglantes, ont été édifiées par une soi-disant cause d’intérêt national, dont le monopole de la décision sort de tout cadre réglementaire. À bien suivre le raisonnement de certains flagorneurs, nous devons nous départir de nos cerveaux avec leur capacité analytique, et fonctionner simplement avec notre moelle épinière sous la domination d’un régime incapable d’avoir une vision holistique de l’Etat.

Cependant, les peuples sont capables de renoncer à leur droit les plus fondamentaux, mais cela doit s’imposer à tous et non à la tête du client et de façon réglementaire. Je rappelle que pendant la Covid 19, les citoyens des plus grandes démocraties ont renoncé à leur droit les plus élémentaires, mais cela de manière réglementaire et non du fait d’un prince qui dit tout est urgent mais dont l’essentiel des manoeuvres est destiné juste à consolider son pouvoir.

On nous dit au nom de la guerre on doit tout accepter, sans être à mesure de définir le contenu de ce « tout » et sans être à mesure d’imposer cela à tous : ce sont là les prémices d’un régime totalitaire. Je me surprend à écouter des personnes le dire fièrement en accusant les « intellectuels » que « la démocratie n’est pas faite pour l’Afrique », sans même proposer une autre alternative avec son contenu. Si cette assertion pourrait mériter mon attention, ce n’est pas du fait des intellectuels, mais du fait que plus de 90 % de nos populations sont indifférents aux questions d’Etat ou les méconnaissent totalement, avec une élite politique corrompue. Ainsi, dans les règles de cette démocratie électoraliste, il n’y a aucune chance quasiment pour qu’une élite intègre et compétente arrivent au pouvoir, dans un système où les gens votent sur des bases ethniques, si ce n’est tout simplement monnayer sa voix contre un billet de banque.

Alors, enlevez le peu de démocratie et le peu d’état de droit que nous avons aujourd’hui, et la violence totalitariste et tyrannique s’invitera dans vos foyers. Et comme tous les régimes totalitaristes finissent par se décapiter eux-mêmes, au sens propre, ne soyez pas surpris d’en être les prochaines victimes.

Sankara s’est énormément trompé quand il a dit :  » Tuez Sankara, des milliers de Sankara naîtront. » Le millième de Sankara n’est pas né, à plus forte raison un Sankara. Car Sankara c’était d’abord un idéal arrivé à maturité, une conviction ardente, mais surtout un engagement sans faille.

Dr Arouna Louré