[Edito] Roch Kaboré reçu à Kossyam : comment le président Damiba a grillé son Jocker

Le 21 juin dernier, le Président du Faso Paul Henri Damiba recevait, à la surprise générale, son prédécesseur Roch Marc Christian Kaboré, dont il fut d’ailleurs le tombeur il n’y avait pas encore cinq mois de cela. Accompagné de l’ancien Président Jean-Baptiste Ouédraogo, l’ex-locataire de Kossyam a été consulté par le Président Damiba “sur les questions sécuritaires, la conduite de la Transition et bien d’autres sujets d’intérêt national”, selon le compte rendu de la presse présidentielle. Une opération de com, ç’en est une. Mais comme Jocker de la réconciliation, cette audience est venue trop tôt et trop précipitamment.

Telle un coup d’épée dans l’eau, la poignée de main entre Roch et Damiba, sensée être historique, n’a pas ému grand monde. Et pour cause, quand bien même l’initiative semble belle et noble, le timing de son déroulement pose problème. En effet, cette audience vient comme une réaction de panique face à l’appel à la libération de Roch Kaboré signé et publié par une soixantaine de partis politiques, et non des moindres, l’avant-veille.

Et comme pour conforter cette thèse de l’improvisation, le journaliste Abdoulaye Barry a révélé dimanche sur la RTB (dans l’émission Débat de presse ) les coulisses d’une mise en scène. Selon ses explications, le natif de Tuiré aurait été informé le jour-même, par Jean-Baptiste Ouédraogo, qu’il y avait une audience à Kossyam. Alors qu’en cette matinée-là, Roch attendait d’être coiffé, il fut conduit dans les bureaux de celui qui l’a décoiffé. Cette donne, si elle est avérée, entache énormément la sincérité de la démarche du Président Damiba.

Dans le fond, cette poignée de main entre Roch et celui qui l’a renversé devait intervenir de manière solennelle comme l’apothéose d’un processus de réconciliation ficelé et mené depuis la base jusqu’au sommet, avec à l’appui une bonne campagne de communication et une préparation des esprits. A cette rencontre devaient être présents Blaise Compaoré, Yacouba Isaac Zida, la veuve Mariam Sankara,…

Cet événement hautement symbolique devait se tenir lors du Forum national de la réconciliation qu’avaient initié Roch Kaboré et son ministre d’Etat Zéphirin Diabré, et qui pouvait être réalisé sous la Transition. Et le méticuleux travail de base, le ministre d’Etat Yéro Boly l’a bien entamé, en mettant l’accent sur le dialogue communautaire. Cet homme de grande expérience sait que le nœud de la crise se trouve au sein des communautés.

Rencontrer Roch actuellement, n’aura, in fine, apporté aucun gain politique au Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR). Comme en jeux de cartes, le MPSR disposait du précieux jocker Kaboré, mais l’a sorti de manière inopportune et impréparée. Par contre, la pleine libération de cet ex-président élu démocratiquement, lui aurait été bénéfique, et aurait marqué un signal de bonne foi de la part du gouvernement de transition.

Et si cette rencontre inattendue était pour préparer le retour de Blaise Compaoré, comme le susurrent certains, ce ne serait pas une bonne inspiration. Et pour cause? On ne panse pas aux forceps des cœurs blessés.

Gracier Blaise Compaoré, comme Diendéré et tant d’autres condamnés de luxe, devrait provenir de la décision ou de la proposition d’une assise représentative du peuple. Et cela devrait aussi requérir le quitus, même tacite, des victimes. Lesquelles victimes demanderaient, il faut en tenir compte, que les mis en cause battent au préalable leur coulpe devant des témoins respectables.

Rouvrir de force les chemins de l’exil et les portillons des prisons, c’est réunir les conditions d’un 30 mars bis : une journée de pardon qui n’aura d’impact que son folklore.

Et en pareilles circonstances, rien de garantirait qu’un autre régime ne viendrait pas remettre en cause ces grâces ou amnisties, ou qu’il ne réveillerait pas d’autres cadavres enfouis dans le musée des 27 longues années de règne des Compaoré.

La preuve, c’est qu’il y avait une loi d’amnistie qui avait été votée le 11 juin 2012, et qui absolvait de leurs péchés, tous les chefs d’Etat burkinabè de 1960 à cette date. Mais cela n’a pas empêché le dossier Thomas Sankara d’être jugé. Idem pour le non-lieu de l’affaire Norbert Zongo, un dossier emblématique relancé, comme le dossier Sankara, par le Président de la Transition de 2014-2015, Michel Kafando.

Tous ces faits sont là pour nous rappeler qu’il faut prendre le temps de bien faire les choses dans l’inclusion et la transparence, si nous ne voulons pas que l’histoire rediffuse ses épisodes douloureux.

Damiba et ses compagnons sont si jeunes et ambitieux, qu’ils n’accepteront pas de s’immoler pour expier de vieux péchés dont les auteurs ont toujours refusé d’assumer. Déjà que gouverner par ces temps de grave crise, c’est un sacrifice pour la Nation. Gageons-le!

La Rédaction