[ EDITO ] Des diplômes, pour quoi faire ?

« La liberté, pour quoi faire ? » C’est cette question que Lénine a envoyée aux socio-démocrates qui lui reprochaient d’avoir confisqué les libertés lors de la Révolution russe d’octobre 1917. Un siècle après, dans un pays comme le Burkina ayant expérimenté la Révolution et la Démocratie libérale, la question se pose autrement : « des diplômes, pour quoi faire ? » Une question profonde, car la source de la liberté, c’est le savoir. « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres », proclamait Jésus Christ.

Ils sont un peu plus de 780.000 élèves à aller, à partir de ce mardi 22 juin 2021, à la conquête du CEP, du BEPC, du CAP et du BEP. De précieux sésames, qui, à l’époque, ouvraient bien des mondes. Mais aujourd’hui, à la croisée des chemins, notre Éducation demande à être orientée. Mais vers où ?

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Le système éducatif burkinabè, hérité de la France, ne s’est pas émancipé de sa mission initiale de former des cadres et des subalternes d’une jeune Administration. Pourtant, le pays, son histoire politique, sa démographie et ses rapports avec le monde, ont évolué.

L’École burkinabè ressemble de plus en plus à une usine de production de chômeurs. Parce que des diplômés, elle en produit par centaines de milliers bon an mal an. Et cette foultitude de diplômés fonde son espoir sur une Fonction publique chétive pour être recrutée, pour travailler. Ça fait des décennies que les choses ont commencé à ne plus marcher. Et l’on a forcé quand même la marche. Une marche pénible qui ne s’arrêtera, peut-être, qu’à partir des conclusions qui sortiront des futures Assises nationales sur l’Éducation.

Les pays asiatiques l’ont su tôt. L’avenir d’un pays se planifie à partir du type d’éducation que l’on donne aux enfants, sur un certain nombre de générations. Veulent-ils réaliser une révolution agricole dans 30 ans ? Ils misent sur la formation d’agronomes, de pédologues, de botanistes, de techniciens et d’ouvriers agricoles, … Veulent-ils plutôt se hisser au premier rang des puissances technologiques ? Ils misent sur l’informatique, la robotique, les mathématiques, la formation d’ingénieurs, …

Mise à part l’étude prospective « Burkina 2025 », quelles réflexions structurelles le Burkina a-t-il mené sur le type de nation qu’il souhaite devenir, et les moyens qu’il est prêt à y consacrer ?

L’inadaptation de notre système éducatif n’est pas seulement en lien avec le marché de l’emploi. Elle est surtout relative à la culture et aux réalités propres au pays.

Dans les universités, l’on peut étudier toutes sortes de langues, sauf nos langues nationales. Le mooré, par exemple, parlé par des millions de locuteurs, est absent en tant que filière et en tant que langue de navigation sur internet.

Nos enfants connaissent mieux la Révolution française de 1789 que la Révolte bwa de 1915-1916. En outre, il apparaît plus noble, aux yeux de beaucoup, de prendre des cours de piano que d’apprendre à jouer du djembé. S’habiller (jusqu’à récemment) et se nourrir conformément à d’autres cultures, seraient des signes de « civilisation » pour nombre de citoyens. Et ce complexe d’infériorité a été transmis de parents à enfants, d’enseignants à apprenants.

Ce sont là des tares de notre système éducatif, qui lui ont valu des levées de boucliers. Le plus emblématique des détracteurs du système est le coach Simon OUEDRAOGO, qui décrit avec force arguments son « inutilité ».

Pourtant, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau de bain. Notre système éducatif traîne, certes, des carences. Cependant, peut-on espérer construire une société sans éducation ? Nos ancêtres avaient leurs écoles à eux : outre les cellules familiales, les camps d’initiation, les voyages à la recherche de savoir, …

Il nous appartient  de nous inspirer de ces socles et des bonnes pratiques qui ont fait leurs preuves sous d’autres cieux, pour construire un système propre à nous, plus adapté, plus efficace. C’est du reste, cet esprit qui semble guider les initiateurs des Assises nationales sur l’Éducation. Les futures réformes nécessiteront, sans nul doute, des sacrifices : mise en place de nouvelles échelles de valeurs, pactes sur le civisme et la discipline, suspension provisoire de certaines filières et introduction de nouvelles autres, valorisation du travail manuel et de l’expérience pratique, promotion des start-ups et des entreprises créées par des groupes de jeunes, réformes majeurs des modes de recrutement dans la Fonction publique,…

Mais une fois que des réformes consensuelles et profondes commenceront à être mises en œuvre, l’École burkinabè retrouvera ses lettres de noblesse. En ce moment, obtenir un diplôme aura plus de sens, et ouvrira plus de perspectives, à la fois pour son titulaire et pour la Nation.

La Rédaction