[EDITO] Burkina Faso : les six piliers d’une transition réussie


Le 24 janvier dernier, l’histoire a bégayé au Burkina Faso. Les militaires, sous la bannière du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR), ont mis fin au pouvoir du président Roch Kaboré. Un putsch, comme le pays en a l’habitude de vivre, mais sans effusion de sang. La dégradation de la situation sécuritaire amorcée depuis 2016, avec son lot de morts et de déplacés, a eu raison du régime MPP et ses alliés.

Dans son discours à la nation, le lieutenant-colonel Damiba a fait montre d’une connaissance des maux qui minent le Burkina actuel. Il a signifié l’urgence d’un redressement du pays à tous les niveaux. Un coup d’Etat met un pays des années en arrière. Mais le Burkina, dans ce cas-ci, avait déjà perdu six bonnes années.

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Sur ce, pour réussir sa vision de refondation du pays, il faut que le MPSR puisse tirer des leçons des échecs et des succès du régime Kaboré, et de tous les autres régimes précédents. Il lui faut aussi réunir les ingrédients nécessaires pour ramener la paix et la sécurité au pays des hommes intègres. Pour ce faire, le lieutenant-colonel Damiba et ses hommes seront bien inspirés de fonder leurs actions sur six piliers.

Premier pilier : la mobilisation au front


Cette mobilisation n’est pas que militaire. Il faut que les nouvelles autorités arrivent à faire de la lutte contre le terrorisme, une guerre populaire. Et pour cela, il faudrait mobiliser toutes les couches sociales pour des actions concrètes et cohérentes. Pour faire simple, on peut travailler à mobiliser les OSC, qui crient leur soutien au coup d’État à travers les plateaux et autres conférences de presse, pour grossir les rangs des vaillants Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP). Car, le vrai défi est au front et non dans les douces salles de conférences de Ouaga.

Il faut tirer leçon des expériences du régime Kaboré, qui n’a pas su imposer l’effort de guerre. Dans une situation aussi grave que celle dans laquelle le Burkina est plongé, on ne devrait pas donner le choix aux citoyens de contribuer ou pas. Il faut voter carrément un impôt de guerre, qui tient compte des niveaux de vie et des revenus de chaque catégorie de Burkinabè.

Quant au concept de VDP, une bonne trouvaille du régime déchu, nous avions dit qu’il fallait l’élargir à tous les citoyens : du paysan au médecin, du berger au physicien, de la ménagère au diplomate,… Chacun peut et doit contribuer à cette guerre, selon sa profession et ses talents.
Personne ne devrait être écarté de cet élan de guerre, encore qu’il n’existe plus d’opposition et de majorité.

Deuxième pilier : l’inclusion

Le MPSR courra à sa perte s’il se lance dans une logique d’exclusion d’une partie du peuple. Non seulement le contexte nécessitant une union sacrée ne s’y prête pas, mais ce serait aux antipodes de ses discours de prise de pouvoir où il a reproché au régime déchu de n’avoir pas su mobiliser tout le peuple pour gagner la guerre.
Il faut plutôt rassembler les meilleurs de tous les bords, et éviter la duperie de la Transition de 2014 qui a prêché l’inclusion tout en consacrant l’exclusion.

Il serait, par exemple, périlleux de balayer d’un revers de la main, l’ex-majorité, qui regorgeait l’essentiel des cadres maitrisant les rouages de l’administration. On ne peut pas mettre toute la ressource humaine existante de côté, pour amener des « oiseaux rares » qui prendront une année pour comprendre le fonctionnement de l’Etat, avant de pouvoir agir efficacement. Nous sommes dans l’urgence, et il faut une bonne dose d’expériences et d’innovations. Le tout, dans un élan de rapprochement des cœurs.

Troisième pilier : la réconciliation nationale

Notre pays est profondément déchiré. Au-delà des acteurs politiques, des communautés, des ethnies, des religions et des entités s’affrontent dans des combats fratricides. Sauf à se voiler la face, il est évident que le Burkina a un problème de réconciliation.

Et, en matière de réconciliation nationale, il n’y pas de roue à réinventer. Au risque de lancer un nouveau processus lent, lourd et incertain. Les forces vives ont déjà rédigé des stratégies qui ont pris en compte les travaux passés du Collège de sages et de la Commission de la Réconciliation Nationale et des Réformes (CRNR). Beaucoup de ressources humaines, financières et intellectuelles ont été mobilisées à cet effet. Il serait plus simple et plus logique de s’appuyer sur les résultats de ces travaux, pour amorcer les réformes et la refondation annoncées. Par ailleurs, pour la pérennité de la refondation en question, il faut repenser notre système démocratique.


Quatrième pilier : Les réformes de notre démocratie

Le MPSR aura beau faire un travail herculéen, si la transition aboutit à la reconduction d’une équipe de pilleurs sans vision, elle aurait échoué. Seule une vraie révolution mentale, une moralisation de la vie politique et publique, et une réforme profonde de la démocratie, pourront garantir des acquis de la transition qui s’annonce.
Le système électoral burkinabè, en l’état actuel, permet l’accession de n’importe lequel des quidams aux hautes sphères de l’Etat, pourvu qu’il ait l’argent. L’argent est le principal déterminant du jeu électoral, au détriment de la confrontation des idées et idéologies. Et l’on vote des incompétents contre de l’argent, on les décrie ensuite pour appeler l’armée au pouvoir, et celle-ci organise une transition, puis des élections, qui verront l’arrivée des incompétents sous une autre forme. Le cercle vicieux doit prendre fin.

On pourrait étudier la possibilité d’une démocratie consensuelle, où les pouvoirs tiennent compte de l’équilibre de la société. On aurait ainsi évité le piège d’élections coûteuses et contestées, et de crises préfabriquées. Surtout que le Burkina a toujours su trouver un consensus à chaque carrefour de son histoire, pour sortir de l’ornière !
Pour arriver à cette réforme, il faudra s’assurer de réduire la corruption ambiante à sa portion congrue.

Cinquième pilier : la lutte contre la corruption

La corruption fait partie des tâches noires du régime Kaboré. Si le MPSR n’y prend pas garde, et s’il s’entoure d’individus qui veulent seulement se remplir le ventre, ils créeront exactement les mêmes conditions qui ont causé la perte du MPP.

C’est pourquoi la junte doit envoyer, sans tarder, des signaux forts. Il faut réapprendre aux citoyens des valeurs ancestrales, à savoir, que le bien commun est sacré, que seul le travail libère, et que la dignité n’a pas de prix.
De manière pédagogique, les dirigeants doivent donner le ton et l’exemple. Montreront-ils à la jeunesse qu’ils chérissent le travail, la sobriété, l’intégrité, la bravoure et le patriotisme ? Leur montreront-ils plutôt qu’ils sont friands de belles maisons, de belles voitures et de belles vies ? Leur choix orientera le destin de toute une nation. Une nation qui a besoin de faire une mise à jour à l’intérieur, pour briller à l’extérieur.

Sixième pilier : la réorientation de la diplomatie

La majorité des Burkinabè sont unanimes sur la nécessité de compter avant tout sur nos propres forces, et ensuite, de nous faire des amitiés variées et utiles.
Ce cri de cœur se manifeste par une hostilité vis-à-vis de la France, dont la contribution dans la lutte contre le terrorisme au Sahel est à polémique. On ne gouverne pas avec des émotions, certes, mais l’on gouverne en écoutant son peuple. Voilà pourquoi, de concert avec des pays frères comme le Mali et le Niger, le Burkina doit pouvoir fixer avec la France, les conditions d’une nouvelle collaboration en phase avec les aspirations des citoyens.

Si le MPSR se montre dévoué à la tâche, tout en prenant en compte ces six piliers pour sa vision de la refondation, il réussira sans nulle doute cette transition historique vers un Burkina nouveau et pacifique, débarrassé des péripéties du passé.

La Rédaction