“Ce n’est pas l’échec du régime qui m’inquiète, mais la facture incommensurable qu’il laissera aux générations futures.” (Dr Louré)

Ceci est une tribune libre de Dr Arouna Louré, sur la marche de la Transition politique au Burkina Faso.

SI SEULEMENT AU NOM DE LA NATION QUE NOUS DISONS AIMER, ON POUVAIT S’ECOUTER NE SERAIT CE QU’UN INSTANT !

Depuis l’avènement du régime Traoré, le débat public s’est polarisé entre ceux qui soutiennent le régime qui seraient “des patriotes” et ceux qui ne soutiendraient pas le régime qui seraient “des apatrides”. Cela a été exacerbé, pour ne pas dire induit, par les discours officiels notamment ceux du président de la transition, le capitaine président. Cela fut une erreur énorme que les membres de l’exécutif au lieu de nuancer cette position ont tout au contraire renforcée. Cependant le patriotisme sincère et vrai voudrait qu’on défende l’idéal qu’on porte pour la nation peu importe le régime au pouvoir.

Comment définir le patriotisme en fonction du soutien inconditionnel qu’on porte à un régime dont les dérives et les insuffisances sont légions mais qui se refuse d’écouter d’autres sons de cloches ? Comment définir le patriotisme lorsque ceux qui soutiennent un régime sont incapables de produire des solutions holistiques tenant compte des enjeux de l’heure mais sont passés maîtres dans la violation de nos lois et de l’état de droit ? Non le patriotisme ne peut se définir en fonction du soutien ou pas au régime Traoré, loin s’en faut. Le patriotisme c’est défendre vaille que vaille les intérêts de la nation Burkinabè à court, moyen et long terme. Car les régimes se succèdent, mais la nation demeure.

Comme j’ai la faiblesse de le croire, les questions d’état sont d’une telle complexité qu’elles ne peuvent se gérer de manière clanique encore moins de manière familiale et amicale. Beaucoup de nos devanciers n’ont pas réussi à faire un progrès socio-économique pérenne pour un Burkina Faso de paix et de prospérité, pas parce qu’ils étaient animés d’une mauvaise volonté, mais parce qu’il n’y a pas de manuel de procédure préconçu pour la gouvernance efficace d’une nation. Aujourd’hui, là où se fait l’unanimité, c’est que les questions de gouvernance d’état ont besoin de fédérer toutes les intelligences dans une vision claire et concise autour d’un leaderschip assumé mais humble ; sans oublier que cela n’est pas forcément gage de réussite. Aucune gouvernance ne peut briller si elle ne fait pas de la quête perpétuelle de l’excellence sa boussole.

Ainsi pour un pays pauvre comme le nôtre en proie à toutes sortes crises (crise identitaire, crises sécuritaire et humanitaire, crise de la gouvernance…) il serait illusoire, pour ne pas dire puéril, de croire que nous pouvons réussir en diabolisant certaines parties prenantes des questions d’État, notamment les médias, les intellectuels, les partenaires internationaux, les hommes politiques, même si une bonne partie de ces derniers du fait de leur insouciance nous ont conduits où nous en sommes aujourd’hui.

Sept mois après sa prise du pouvoir, la réalité du terrain devrait conduire le capitaine président et son exécutif à reconsidérer leur position afin d’espérer apporter un plus subtantiel au Burkina Faso, mais surtout afin de ne pas laisser un pays en lambeau (une fracture sociale immense, un vivre ensemble détruit, des crimes de guerres insupportables, une dette étatique abyssale, les ressources du pays bradées au nom de la guerre …) après leur passage. Oui, aujourd’hui ce n’est même pas l’échec du régime qui m’inquiète, mais la facture incommensurable qu’il laissera aux générations futures après avoir échoué.

Si seulement nous pouvions prendre ne serait qu’un petit temps pour nous écouter au nom de l’intérêt supérieur de la nation ; si seulement au nom de l’amour que nous disions avoir pour notre pays, nous pouvons faire fi de nos egos et de nos intérêts claniques pour nous parler pendant qu’il est encore temps. Si seulement nous aimons sincèrement notre pays au-delà de toute autre considération, nous devrions trouver les voies et moyens pour que la mobilisation générale et la mise en garde soient une réalité adoubée par tous.

Dr Arouna Louré