« L’ordre » : C’était le sujet de philosophie à la session 2021 du concours de recrutement d’élèves professeurs agrégés du secondaire. « L’ordre » : un mot qui soulève mille questions sous-jacentes.
Qu’il soit bien entendu que le présent éditorial n’est pas un traitement philosophique du sujet soumis aux enseignants. Nous saisissons simplement la balle au bond, pour donner l’opinion de notre Rédaction sur une question dont la pertinence et l’actualité ne sont plus à discuter.
Empêtré dans une crise multidimensionnelle, comment le Burkina Faso peut-il renouer avec l’ordre ?
15 juillet 2021. Site d’orpaillage de Bantara, dans le Sud-Ouest. Des orpailleurs sont pris au piège par une montée des eaux dans les galeries. Certains, chanceux, sont extraits ; d’autres perdront malheureusement la vie. Or, en cette période précise, les activités d’orpaillage sont interdites par un arrêté ministériel. Qui respecte encore la loi et les règlements dans ce pays? Qui s’applique à faire respecter les textes ?
Le Burkina Faso vit une crise, la plus grave de son histoire, dit-on. A l’origine de cette situation, notre échec commun à nous ériger, à nous accepter, et à cheminer en tant qu’Etat-Nation. Aujourd’hui, des groupes terroristes tentent de morceler notre territoire en autant de no-man’s lands que possible.
L’ordre républicain vacille, et c’est peu de le dire. Qui dispose de l’autorité à Mansila, à Solhan, à Madjoari ou à Tambarga ?
Il se trouve que la crise a puisé ses racines du fait qu’une partie de la communauté nationale ne se sent pas partie prenante de l’œuvre d’édification de la Maison commune. « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté », proclamait Rousseau. Et les lois qui nous semblent étrangères deviennent, à nos yeux, un joug dont nous voulons nous défaire pour être libres.
Cependant, à la genèse de cette crise, quand des idéologues de tout acabit diffusaient leurs visions dangereuses, quand des groupes d’autodéfense se sont investis du pouvoir de tout et sur tout, il fallait que la République s’affirme.
« On ne doit jamais laisser se produire un désordre pour éviter une guerre ; car on ne l’évite jamais, on la retarde à son désavantage », prescrivait Machiavel au Prince. C’est exactement ce à quoi nous avons assisté : le déclenchement tardif de la guerre, à notre désavantage.
L’ennemi a eu le temps de pénétrer dans nos communautés et de se personnifier en certains d’entre nos frères et nos sœurs. L’ordre, en ce moment, perd du terrain. Au profit d’un désordre, et peut-être d’un nouvel ordre !
Que risquons-nous ?
Contrairement à ceux qui sous-estiment l’état de guerre actuel, ou qui sont flattés par la tranquillité apparente mais précaire des grandes villes, nous disons que notre pays court bel et bien un danger. Le même danger qui ronge des Etats africains en faillite, écumés par des groupes armés, englués dans des guerres en continu, sans perspective ni espoir. A la différence que nous avons une vaillante armée de patriotes, unie par-dessus ses problèmes, et qui a le soutien des forces vives. A la différence que nous avons l’art de la survie et des compromis historiques.
Mais comment rétablir l’ordre et trouver le salut ?
Il se chante chaque jour que le problème du Burkina, c’est sa classe politique, ses syndicats ou ses intellectuels. Mais pour nous, les Burkinabè sont le véritable problème du Burkina Faso.
Tant que les Burkinabè croiront en la possibilité de vivre des bonheurs isolés dans de vastes champs de malheurs ; tant qu’ils croiront que le malheur ne frappe que les autres ; tant qu’ils verront en la guerre des opportunités plutôt qu’une menace commune; le socle de notre nation ne supportera pas les secousses. « La maison construite à base de salive ne peut résister à la rosée », nous enseigne une sagesse burkinabè.
Notre salut ne viendra pas d’un leader providentiel. Parce que, la dernière fois qu’un homme aux dons rares nous a été donné par la Providence, nous l’avons tué en quatre ans. Nous l’avons tué par notre comportement, par nos contre-idées, et par notre compromission.
Il faut de l’audace aux dirigeants, pour remettre, non sans contraintes, le Burkinabè dans le moule de la discipline, de l’intégrité et de l’ambition. Quitte à s’écarter, s’il le faut, des règles protocolaires et parfois mécaniques d’une démocratie importée. Nous devons trouver notre voie originale, renouer avec la fermeté, la discipline et le labeur. De nos écoles à nos forces armées, du hameau de culture à la grande capitale, des cellules familiales aux milieux professionnels, du plus petit agent public au sommet de l’Etat, l’ordre doit s’installer. « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit, et l’obéissance en devoir », prévenait Rousseau. Si l’Etat de nature revenait, personne ne s’en sortirait. Alors, il est temps que le désordre au Burkina soit combattu sans état d’âme. Nous devons restaurer l’ordre, ou continuer de périr !
La Rédaction