Tribune : qu’est-ce que l’intérêt général?

Ceci est une tribune libre de l’internaute Rabin Mucharaff, qui dit s’inspirer de l’anecdote d’un des meilleurs politiciens burkinabè.

En politique chez nous, l’intérêt général c’est comme la caricature suivante :

C’est lorsque le ministère de la santé envoie un agent dans un village très lointain pour vacciner les enfants contre la tuberculose. Cet agent est juste recruté pour la circonstance puisque le ministère est alerté de l’imminence de la maladie. Dans tous les cas, au ministère, tout le monde est très civilisé et personne ne peut se rendre dans ce lieu lointain sans électricité ni eau potable.

Arrivé dans le village, les enfants font des cauchemars parce que chacun a peur des seringues. Ils prient Dieu pour que l’agent parte et les laisse tranquilles.
À quelques jours de séjour, avant même qu’il aie vacciné le tiers des enfants, l’agent de vaccination a eu une amitié avec une fille du village. Ils sont tombés amoureux l’un de l’autre.
Il se trouvait que la fille était de moindre vertu (le genre de fille qui donne toujours le triangle au premier venu).
Et, comme elle sait que l’étranger (son amoureux) risque d’apprendre tout sur elle, ce qui risque de gâter l’amour naissant, elle l’a convaincu de fuir rapidement avec elle avant que les « kpakpato » ne mettent leur bouche dans cette relation prometteuse.

Cette fille était aussi l’aînée d’une famille de douze enfants, et elle aidait le père à gérer la famille, puisque la mère n’est plus. L’étranger, quant à lui, est simplement un fauché et un faux type venu d’une famille qui voulait s’en débarrasser pour sauver son honneur. Un raté.
Ils décidèrent alors de s’enfuir ensemble dans une autre ville avec la promesse de l’homme de marier sa dulcinée, mariage auquel aucune des deux familles ne voudrait s’associer facilement.

Lorsqu’il sont partis, c’était la fête chez les tout-petits. Ces derniers ramassèrent le matériel de vaccination et le jetèrent dans le marigot du village. « Enfin, le criminel est parti. Il ne va plus nous piquer », se disaient-ils.
Ça, c’est l’intérêt des enfants. Les villageois sont contents parce que leurs enfants ne vont plus subir les piqûres et les pleurs. Ça c’est l’intérêt des parents. Le gouvernement est content parce qu’il a dépêché un agent pour préserver la santé de la population. Ça, c’est son intérêt, même si c’est un agent dont le ministère lui-même ignore l’identité et la moralité.

Le père de la fille, un peu triste mais un peu content parce qu’un homme s’intéresse quand même à d’autres choses de sa filles qu’à ses cuisses. Un mariage qu’il va les trainer avant d’accepter en guise de sanction. Ça c’est l’intérêt du père. La fille se dit qu’elle a eu enfin un mari malgré le faitque les ennemis du village ont prophétisé son célibat éternel. Ça c’est son intérêt. L’homme aussi a eu une femme sans subir les tests et les épreuves de l’honneur d’un vrai homme qui aspire au foyer. Ça c’est son intérêt. Dans tous les cas, dans les conditions normales, la vie qu’il mène ne lui permet pas d’avoir une femme, indigne soit-elle.

Chacun a eu son intérêt dans cette affaire, et il est content jusqu’au jour où:

  • la tuberculose va frapper durement et décimer la majorité des enfants non vaccinés;
  • le gouvernement va apprendre que le travail n’a pas été fait;
  • les parents enterrent leurs enfants chaque jour;
  • la fille se rend compte que son homme est le cuisinier du diable;
    -l’homme se lève un matin trouver que sa femme est partie;
    -le père de la fille revient un soir trouver son enfant revenue toute maigre, pâle et triste comme sortie directement des flammes incandescentes de l’enfer.

Chacun pense que l’intérêt général est la somme des intérêts individuels. On met des gens qui ne sont pas sérieux au-devant de la recherche de cet intérêt général. Ils arrivent trouver une population sous-informée et négligente avec des complices criminels et opportunistes. Aucune politique d’intérêt général ne peut marcher dans un tel contexte.