Médias : les travailleurs de la presse privée burkinabè donnent de la voix

Ceci est la déclaration liminaire de la conférence de presse des travailleurs des médias privés tenue ce 10 août 2021 à Ouagadougou:

« Chers confrères et consœurs ;

Merci d’avoir répondu massivement à notre invitation de ce jour, qui a pour objectif de dresser le bilan, un an après la tenue de notre première conférence de presse dans cette même salle du Centre national de Presse Norbert Zongo.

Chers confrères et consœurs ;

Le dernier classement de Reporter Sans Frontière, publié au mois d’avril passé, place notre pays, le Burkina Faso, 1er pays francophone en Afrique, et 37e à l’échelle mondiale sur 180 pays en matière de liberté de presse. C’est le lieu pour nous de féliciter tous les journalistes travaillant au Burkina pour cette prouesse, car ce classement n’est pas le fruit du hasard. Il démontre à souhait que les journalistes exerçant au Burkina Faso font leur travail dans le professionnalisme.

Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt ! Quand on jette un regard sur les conditions de vie et de travail des journalistes de notre pays, principalement ceux du privé, l’on constate que ces derniers exercent dans des conditions exécrables pour ne pas dire esclavagistes.

Le 11 juin 2020, nous évoquions la situation des journalistes du privé qui souffrent terriblement le martyr à cause due à certains faits que sont :
I- La non application de la Convention collective ;
II- L’absence de contrat de travail ;
III- L’Absence de plan de carrière ;
IV- L’absence de déclaration à la Caisse de sécurité sociale, ou des déclarations non suivies de cotisation ;
V- Pas de couverture sanitaire, etc.

Nous avons souhaité que tous ces points soient solutionnés, notamment par l’application pleine et entière de la Convention collective que les patrons de presse, les Organisations professionnelles de médias et l’Administration publique ont librement signée.

Un an après, avons-nous eu d’oreilles attentives ? Qu’est-ce que nous pouvons considérer comme acquis ?

Un an après, que retenir en terme d’acquis ?

  1. la prise en compte de nos revendications par des syndicats, notamment le SYNATIC. Nous avons également bénéficié du soutien du général Bassolma Bazié, secrétaire général de la CGT-B.
  2. Le soutien de la plupart de nos confrères du public comme du privé. Certains patrons de presse, reconnaissant le bien fondé de notre revendication, nous ont adressé leurs félicitations. Certains nous ont accordé des temps d’antenne pour nous exprimer,
  3. Le 24 juin 2020, le directeur général des medias, monsieur Alassane KARAMA, nous a reçus pour mieux s’imprégner de nos difficultés. Ce fut la seule rencontre officielle.
  4. A l’occasion de la journée internationale de la presse le 03 mai, nos confrères de burkinainfos, notamment Guel Rodrigue, ont réalisé et diffusé un reportage sur les conditions de vie et de travail des travailleurs des medias privés.
  5. On peut se féliciter qu’après notre sortie, la commission sur l’octroi de la subvention a été un peu regardant sur les conditionnalités pour accorder les fonds. Des organes ont vu leurs demandes rejetées parce que n’ayant pas versé les cotisations des travailleurs.
  6. La promesse du ministre Remi Djandjinou de commanditer une étude sur nos conditions de travail, résultats que nous attendons toujours.

Chères consœurs, chers confrères,

Comme vous avez pu le constater, fondamentalement rien n’a changé. Sur un effectif de 421 organes, ils ne valent pas dix organes, tout en étant généreux, qui appliquent la Convention collective. Et le funeste constat est là. La précarité des conditions de vie et de travail des journalistes est malheureusement la norme à plusieurs niveaux. Les travailleurs des médias privés continuent de s’enliser dans la précarité. En effet, la majorité écrasante des journalistes exerce la profession sans contrat de travail formellement établi. Des patrons plus entreprenants dans l’esclavagisation des journalistes du privé ont eu l’ingénieuse idée d’établir non pas des contrats de travail mais des contrats de prestation, rendant drastiques les conditions de rémunération de leurs journalistes. Certains de ces contrats sont valables pour six mois et renouvelables n fois en fonction de la capacité du journaliste à endurer leur diktat. A titre illustratif, chez certains patrons, un article validé et publié est payé à 2500 f et soumis à une taxation de 25% donc 625 F. Et le journaliste est rétribué à 1875. Si l’article est rédigé par deux journalistes, ils partagent les 1875 à deux. Mais, ces derniers font le travail de terrain avec leurs propres engins, leur carburant, leurs téléphones et leurs unités et mégas, etc. Certains journalistes mieux placés que ces derniers sont rémunérés par des salaires de misère très loin du SMIG et de façon discontinue. Il n’est pas rare de voir des journalistes percevoir 25 000 F non pas par mois mais en fonction des humeurs du responsable de l’organe.

En plus, la situation de la plupart des journalistes du privé reste caractérisée par une absence de sécurité sociale, même s’ils sont inscrits à la Caisse nationale de Sécurité sociale, les cotisations ne sont pas versées. Malgré cette situation, des patrons plus ingénieux parviennent à produire du faux ou s’adonnent à une certaine fraude en vue de bénéficier de la subvention de l’Etat. C’est le lieu d’interpeller tous ceux dans l’Administration publique qui prêtent main forte à ces fraudeurs. Nous voulons particulièrement interpeller la CNSS d’arrêter de délivrer des documents prouvant que certains patrons sont à jour des cotisations de leurs journalistes, alors qu’ils sont très loin du compte.

Chères consœurs, chers confrères !

Faisons un clin d’œil envers nos confrères des médias confessionnels qui se voient littéralement exploités par des hommes de Dieu. Il en est également de nos confrères des médias municipaux qui sont à la merci de maires sans scrupules. Certes, ils ne sont pas soumis à la convention collective mais du fait qu’ils sont des professionnels de l’information assurant également une mission du service public de l’information, une réflexion sur leur juste rémunération s’impose.

Nous interpellons l’Etat à le faire et à se porter garant de l’amélioration des conditions de vie et de travail des journalistes. Les subventions de l’Etat octroyées aux médias privés ne vont pas toujours là où elles doivent aller. Les journalistes sous- payés ou pas payés du tout tuent leurs propres engins pour leurs organes.

Le constat qui s’impose est que ces patrons véreux ont rendu le métier insipide, démotivant, ruineux pour les journalistes. Pour dire vrai, à l’état actuel des choses, il n’y a pas d’avenir pour les journalistes dans ce beau métier au Burkina Faso.

Soyons clairs ! Notre revendication n’est pas que pour une quête d’aisance financière. Elle a pour fondement notre ferme volonté d’œuvrer à l’avènement d’un véritable Etat de droit, une démocratie effective dans ses composantes économique et de justice sociale au Burkina Faso. Et cela passe nécessairement par l’instauration de conditions de vie et de travail acceptables pour les journalistes.

Rappelons avec force que la Convention collective indique à son deuxième considérant « qu’il ne peut avoir de liberté d’expression là où les journalistes sont exposés à la précarité, à la pauvreté ou à la peur ». Il ressort clairement de cette disposition que la non application de la Convention collective est un attentat contre un journalisme au service du droit de savoir des citoyens, contre l’Etat de droit, la démocratie dans toutes ses implications, notamment sociale et économique.

Souvent, en sus d’être mal payés, les arriérés de salaire s’empilent, contraignant ainsi les journalistes à un calvaire social.

Nous avons désormais la conviction que le loup est dans la bergerie, car ces patrons de presse qui s’obstinent à confiner les journalistes dans l’enfer social ont rejoint le camp des prédateurs de la liberté de la presse.

Chers confrères, chères consœurs exploités du privés, en termes de perspectives, nous vous appelons à :

  1. L’union sacrée autour de l’AJB, notre structure mère ;
  2. L’engagement et la mobilisation pour le respect de nos droits. Il est temps de mettre fin à notre naïveté en comptant sur la bonne foi des patrons pour l’application de la Convention collective. Face à autant de difficultés, il nous appartient de nous mobiliser, de nous organiser davantage. Ce challenge est à notre portée. Mais il faut que nous dominions nos peurs, que nous abandonnions nos petits calculs parfois politiciens et égoïstes. Soyons convaincu que rien ne changera du simple fait des gouvernants ou des patrons de presse qui sont souvent de connivence. De meilleures lois, de meilleurs salaires, une meilleure sécurité sociale…, sont de notre fait. Il y a donc plus à gagner qu’à perdre si l’on se mobilise.

Notre ministère de tutelle, nous l’invitons à prendre des mesures visant l’application pleine et entière de la Convention collective de 2009 par les patrons dans sa lettre et dans son esprit, tout en espérant son amélioration au fur et à mesure ;

Le Conseil Supérieur de la Communication, nous l’interpellons à ne pas seulement se comporter comme un gardien du régime en place, mais de regarder aussi les conditions de vie et de travail des animateurs des organes de presse, gage d’un journalisme utile et porteur d’informations d’intérêt public ;

A vous, patrons de presse, nous vous invitons au respect des engagements que vous avez librement pris en signant la Convention collective depuis 2009. Ainsi, nous exigeons :
 La pleine application de cette Convention avec des contrats de travail en bonne et due forme;
 Un plan de carrière;
 Une couverture sanitaire appropriée;
 Le versement des arriérés de salaire;
 La déclaration des travailleurs suivie de cotisation effective à la CNSS.

Chers confrères et consoeurs !

Les membres du Comité Ad hoc des Travailleurs de la presse privée du Burkina, vous réitèrent leurs vives félicitations et vous engagent non seulement à plus d’abnégation pour un journalisme au service du Burkina Faso, mais aussi à une intense mobilisation autour de nos droits. Nan lara, an sara!

Nous tenons à remercier au passage l’AJB et le Synatic pour leur soutien et accompagnement.

Merci à tous.»


Ouagadougou, le 28 juillet 2021
Le Comité ad’hoc