Mamadou COULIBALY, président de Sitala : “Il faut intégrer les aspects culturels dans l’éducation de nos enfants”

Né le 20 mars 1976 à Kombougou, un quartier Dioula de la ville de Sya, Mamadou COULIBALY est un artiste-musicien, créateur. Il est également le président d’une association dénommée “Sitala”, basée au Burkina Faso, et le coordonnateur de la même association en France. Cette structure, comprenant dix-sept membres du côté Burkina, a pour objectif de faire connaître, respecter et aimer la culture burkinabè dans l’Hexagone. Éduquer à travers la culture est la principale raison qui fonde l’existence, depuis près de 20 ans, de Sitala. Durant ces deux décennies, l’association a abattu un immense travail pour porter haut la culture burkinabè en France. Apprentissages de la danse, de la musique, du balafon et du djembé, sont entre autres des cours que les membres de Sitala dispensent aux enfants français. ACTUALITE.BF a reçu à son siège le samedi 1er mai dernier, la visite du président de Sitala. L’occasion faisant le larron, votre journal a réalisé cet entretien avec M. Mamadou COULIBALY.

ACTUALITE.BF : Dites-nous, que signifie “Sitala”?

Mamadou COULIBALY (M.C.) : D’abord, Bobo-Dioulasso, c’est la terre des Bôbôs et des Dioulas. Et “Sitala”, en langue bôbô, veut dire “une seule race”, et en langue dioula, “il n’y a pas de race”. En réalité, on pense être exclusivement Bôbô, mais on a un côté mossi; on pense être exclusivement Mossi, alors qu’on a un côté samo. De ce fait, “Sitala” veut dire que nous sommes un seul et même peuple au Burkina Faso, même ailleurs. Tous les humains forment une famille.

ACTUALITE.BF : Décrivez-nous votre première rencontre entre Burkinabè pour créer Sitala!

M.C. : C’est une histoire personnelle, qui a commencé à la faveur de voyages. Nous-nous sommes rencontrés un peu partout en Afrique de l’Ouest. Et c’est de là qu’au retour au bercail en 1998, il m’est venu à l’idée de monter ce projet qui donne de la valeur à la culture burkinabè, à travers la musique qu’on transmettrait à la génération future. Chemin faisant, j’ai rencontré un éducateur qui m’a fait venir en France pour la première fois, en 2002. J’y ai rencontré Laurent BENOIT qui est l’actuel Directeur de l’association Sitala en France. C’est avec lui qu’on a monté ce projet.

ACTUALITE.BF : En dehors de la musique, quels sont les autres domaines dans lesquels vous intervenez ?

M.C. : Nous utilisons la culture burkinabè, par exemple la musique, pour rencontrer des écoles, des collèges, des personnes âgées, des centres pour personnes handicapées, en Afrique comme en France. Si vous voulez, le projet Sitala est un outil qui peut servir à la formation, à la transmission de savoirs, à la découverte, à la rencontre avec la culture burkinabè en France. Quand vous allez sur le site (de l’association Sitala NDLR), vous verrez un arbre avec plusieurs branches. Le logo symbolise ces missions.

ACTUALITE.BF : Comment s’est passé votre rencontre avec vos partenaires internationaux ?

M.C. : Je dis souvent que l’homme n’est rien sans l’homme. On ne devient jamais quelqu’un sans l’aide d’autrui. Sitala a grandi à travers des rencontres et des échanges. J’ai rencontré Djilali Abdoul Wahab qui m’a fait venir en France pour la première fois. J’ai découvert des choses et au retour au Burkina, j’ai rencontré Laurent BENOIT. C’est lui qui, alors, m’a envoyé en France pendant plusieurs années. Et avec lui, on a développé le projet Sitala dans plusieurs régions de la France. La musique et la culture burkinabè nous ont permis d’aller à la rencontre d’autres personnes, de les sensibiliser et les éduquer à travers nos valeurs. Et cela nous a permis de rencontrer pas mal de gens qui nous ont aidés à asseoir ce projet sur les plans international et local.

ACTUALITE.BF : La pandémie du Covid-19 n’a-t-elle pas impacté vos activités ?

M.C. : A Sitala, particulièrement à mon niveau, le Covid m’a empêché de mener certaines activités, mais pas de créer. Pendant le Covid-19, étant au Burkina Faso, nous avons monté le projet SBS (Sitala Bande Système), et en France également, nous avons fait une création d’un album de cinq titres dénommé le « Sinangouya » qui veut dire « la Parenté à plaisanterie». Donc, pendant le Covid, Sitala a pu maintenir son projet « Éducation par la culture », qui est notre colonne vertébrale. Après cela, il y a eu la création d’un autre album de douze titres. Le Covid-19 nous a empêchés de bouger, de nous déplacer. Mais il ne nous a pas empêchés de créer. On a su s’adapter pour pouvoir survivre.

ACTUALITE.BF : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans les échanges de culture avec la France?

M.C. : Il faut dire qu’entre nous-mêmes ici, il y a un problème culturel trop sensible. J’ai échangé avec des sages, il y a quelques temps. Ils m’ont dit que la culture burkinabè peut être considérée comme un habit déchiré et que, pour le coudre, il faudrait se concerter. Les difficultés dans le milieu musical, c’est que la musique burkinabè est peu connue à l’extérieur et peu consommée à l’intérieur. Peut-être qu’il y a quelque chose à revoir revoir. Les artistes ne sont pas soutenus comme il faut. Aujourd’hui, il faut revoir le statut de l’artiste au Burkina Faso. L’expérience que nous avons eue dans nos tournées, c’est « le trait d’union » entre les blancs et les noirs, dans le sens noble du terme. Juste pour dire que les blancs vont à droite, et nous à gauche, mais on finit par se rencontrer.

Pour terminer, je dirai, sans vouloir vexer quelqu’un, que notre culture est un peu négligée. Et s’il y a des difficultés au niveau de la culture, cela se répercutera certainement sur l’éducation. Tant que la culture ne va pas bien, l’éducation sera toujours un échec. Aujourd’hui, les Burkinabè arrivent à se parler et à vivre ensemble, et c’est en grande partie, grâce à la culture.

ACTUALITE.BF : Quels sont les projets que Sitala nourrit pour le Burkina Faso ?

M.C. : Nous avons mis plusieurs projets en place au Burkina Faso. Mais la colonne vertébrale de nos projets, c’est l’éducation par la culture. Aujourd’hui, quand vous regardez, les balafons, les djembés, les contes, etc. doivent contribuer à l’éducation de nos enfants, si nous voulons avoir un Burkina meilleur.

En 2011, nous avons produit un album qui a réuni les voix d’enfants français et burkinabè, ce qui a impacté l’éducation des enfants en France. Il y a également la saison «Africa 2020», un projet initié par le Président Emmanuel MACRON lors de son séjour au Burkina Faso en 2017. C’est dans ce cadre que le projet de Sitala appelé « La caravane Esprit d’utopie pour une citoyenneté  cosmopolite » a été retenu comme un projet labellisé. Actuellement, il y a six artistes de l’association du Burkina qui ont rejoint les artistes de l’association Sitala en France pour faire des séances création et aller enseigner dans les lycées et les collèges de toute la Bretagne. Pendant trois mois, ils auront 3000 enfants français à rencontrer et à sensibiliser, à travers l’art, la culture, les balafons, etc.

ACTUALITE.BF : Malgré tant d’efforts dans le milieu culturel, vous n’êtes pas tellement connu au Burkina Faso. Est-ce un choix de votre part, ou est-ce parce que les Burkinabè ne s’intéressent pas aux questions culturelles ?

M.C. : Je suis un Dioula, et dans notre éducation, on nous a toujours dit de faire tout en Dioula, ce qui veut dire “‘être modeste, laisser les choses se faire naturellement”. La musique, je ne l’ai pas créée. Je suis né la trouver. Je fais ce que j’ai à faire. Nous sommes plus connus à l’extérieur, parce que les activités que nous menons ne sont pas beaucoup appréciées ici en Afrique. En France, par exemple, pendant une semaine, on peut dire qu’il n’y a pas de cours d’histoire-géographie ou de sciences, et qu’en lieu et place, les élèves doivent suivre des cours de musique, de contes, de danse, etc. Il faut que nous fassions un peu attention. Il faut intégrer les aspects culturels dans les écoles pour une meilleure éducation de nos enfants. Les blancs l’ont compris.

ACTUALITE.BF : Quels conseils avez-vous à donner pour un meilleur avenir de notre culture ?

M.C. : Je dirai qu’il faut sauvegarder notre culture. Il y a plusieurs de nos valeurs qui sont en voie de disparition. S’il y a un conseil à donner de ma petite expérience, c’est de profiter au maximum des savoirs de certaines « grosses têtes» qui, peut-être dans quelques années, ne seront plus de ce monde.

ACTUALITE.BF : Auriez-vous un dernier mot à l’endroit des jeunes Burkinabè?

Quand on parle d’un pays, on parle forcément de sa jeunesse. Je demande à la jeunesse burkinabè de chercher à comprendre les choses, de chercher à découvrir l’homme intègre.

Interview réalisée par Souleymane ZOETGNANDE